En cette période de confinement, Dany, bassiste de Get The Shot, a eu la gentillesse de nous accorder cette interview pour revenir sur leurs dernières actualités : nouvel album, tournée annulée…
Pozzo Live : Bonjour Dan. Un grand merci de nous accorder du temps en cette période compliquée. J’ai vu sur Instagram que tu étais rentré récemment de France ?
Dany Roberge : Exactement. J’étais arrivé 1 semaine avant la tournée pour voir la presse, répondre à des interview et préparer le terrain. Et finalement on a dû se décider au tout dernier moment d’annuler la tournée.
PL : Comment s’est pris la décision d’annuler la tournée ?
Dany : Lors des premiers jours, on a commencé à prendre conscience de ce qu’il se passait. Je me tenais informé et j’ai attendu le point presse de Macron. Puis, on a fait une vidéoconférence avec le groupe pour voir ce qu’on faisait. J’ai appelé les autres acteurs qui travaillent avec nous comme notre agent chez Kingstar, notre agent français, j’ai discuté avec le label et d’un commun accord on a dit “on annule”. C’était difficile parce qu’à ce moment, on était dans les spéculations, et c’était beaucoup de stress. On ne va pas se le cacher, il y a des intérêts financiers énormes : on avait produit du merch dans une quantité incroyable pour la tournée et les gens avaient acheté leurs billets. On avait vraiment hâte, on avait beaucoup travaillé pour cette tournée et l’excitation était là. Donc c’était une grosse déception, mais c’était la bonne décision. Là on voit que tout est fermé, même ici au Québec. On va tous tenir le coup pour se revoir dans des meilleures conditions.
PL : J’ai vu que des groupes avaient fait des concerts en live sur Facebook. C’est quelque chose qui vous avait traversé l’esprit ?
Dany : Oui tout à fait. J’avais envoyé un brainstorm aux mecs. Ce qu’il faut savoir c’est qu’aussitôt la tournée française terminée, on devrait entrer en studio avec un producteur qui venait du New Jersey aux Etats-Unis. Et on devait s’enfermer 16 jours pour faire le nouvel album de Get the Shot. Ça aussi, ça a été annulé. Donc tous nos projets sur lesquels on travaillait depuis les derniers mois sont vraiment à l’arrêt. Donc si on veut rester actif, faudrait peut-être penser à faire une session de chat live, ou un Q&A ou une online performance. On allait vers cette direction, mais avec le confinement généralisé ici au Québec, ils ont fermé tous les services non essentiels. Donc on est un peu dans la même situation que vous en France.
PL : Que vas-tu faire pour t’occuper pendant ce confinement ?
Dany : Tu sais, Get the Shot prend une grosse place dans nos vies. C’est un projet qui a grossi dans la dernière décennie, à un point où on ne s’y attendait pas. On était juste un groupe de punk garage qui ne pensait pas à jouer sur les plus grandes scènes du Hellfest. Mais on a décidé d’un commun accord que notre vie ne doit pas se résumer à 10 mois de tournée par an. Jean-Philippe est donc professeur de philosophie, moi je travaille dans l’industrie de l’événementiel dans une billetterie qui s’appelle lepointdevente.com, c’est un peu le eventbrite québécois. Mais en cette période, l’événementiel est complètement mort et malheureusement je suis au chômage. Donc je vais essayer de profiter un peu. Ça fait des années qu’on prône un changement du mode de vie dans lequel on fait partie. Sans dire qu’on est un groupe ultra engagé, on avait quand même une certaine position avec un espèce d’idéal de vie de condition humaine, de dignité. Je vais donc peut-être essayé de me servir de ce moment pour prévoir un jardin urbain chez moi. Mes parents ont accès à des terres dans l’île d’Orléans, je pourrais commencer à planter des légumes, travailler un peu plus avec la communauté. Et de prendre mes distances avec l’ultra capitalisme, et de cette machine qui est en train de tous nous laisser tomber.
PL : Si on doit voir le côté positif, cette période de confinement est l’occasion parfaite de lancer des nouveaux projets qu’on avait en tête.
Dany : Exactement, j’ai aussi plein de projets. Concernant Get the Shot, le projet de l’album n’est que retardé. On va voir si on doit changer notre manière de travailler, savoir si les frontières vont encore être fermées longtemps ou non. Mais de mon côté je continue d’expérimenter. J’ai mon petit studio maison donc je continue à expérimenter sur des interludes. Je travaille aussi sur des projets personnels, j’écris…
PL : Ah oui, donc tu es déjà très occupé. D’ailleurs, en fin d’année dernière, vous nous annonciez rentrer en studio pour enregistrer le nouvel album. Que peux-tu nous dire aujourd’hui ?
Dany : On a pris un petit peu de retard, mais fin 2019 on a fini tout le niveau de pré-production. Ça veut dire qu’on s’est arrêté sur 10 maquettes finales. La dernière année, on a composé énormément de matériel, le double si ce n’est le triple de squelettes de chansons pour finalement arriver à 10 morceaux. On s’est dit c’est bon, on est au maximum de ce qu’on peut faire. La prochaine étape était avec le producteur Randy Leboeuf. Il travaille pour Graphic Nature Studio et a travaillé pendant des années avec Will Putney. C’est lui qui a produit entre autres les albums de Thy Art Is Murder, The Acacia Strain etc. Pour nos anciens albums, on a travaillé avec des ingénieurs en studio qui nous donnaient leur vision des choses, mais on a toujours été les producteurs de l’album. Surtout JP qui donnait l’orientation esthétique “on veut faire l’album de telle et telle façon”. C’est nous qui décidions de l’ensemble de l’oeuvre.
Cette fois-ci, pour la 1ère fois et dans un esprit de ne jamais refaire le même album 2 fois, on ajoute une autre personne dans l’équation, le producteur Randy. On attend de sa part qu’il bouge les chansons à sa façon, qu’il participe à la création artistique, et qu’on suive complètement son processus d’enregistrement. Get the Shot, en toute modestie, a toujours été un groupe orienté “live”. Généralement on commençait par la batterie, puis le reste découlait assez rapidement. Par contre cette fois-ci, on va dans l’inconfort pour suivre la manière de travailler Randy, comme la “programmation”. C’est vraiment un autre style de production pour nous.
PL : N’est-ce pas déboussolant de changer de manière de travailler et de suivre l’orientation d’une autre personne ?
Dany : On est encore dans un mode spéculatif car on ne s’est pas encore rencontré physiquement avec Randy. On a seulement eu quelques lignes directrices. On est encore au stade où tout le travail a été fait dans la cellule fermée de Get the Shot. Moi je suis convaincu, j’aimerais vraiment vivre l’expérience à fond et donner le volant à une autre personne. Mais je me demande comment les autres vont réagir. Je pense à Guy-Pierre qui écrit les riffs. Dans cette situation, tu as parfois l’ego qui entre en jeu, car tu crées ton truc, et là il y a quelqu’un que tu ne connais pas qui défait un peu tes créations. Pour vous expliquer : Guy-Pierre compose les riffs, c’est une machine à riffs. Puis JP va prendre les riffs, et va donner une dynamique avec des rythmiques : tel riff sera le refrain, on va le répéter deux fois etc. Donc j’aurais bien aimé voir quelqu’un comme JP qui sait où il va, qui a un bon leadership, voir comment il va réagir avec une autre personne qui vient un peu déconstruire le travail (rires). Mais je pense qu’on est tous prêt à aller dans cette direction.
PL : Vous annonciez un son plus heavy sur cet album. Ça sera le cas ?
Dany : Dans les dernières interviews, je suis resté assez hermétique face au travail qu’on fait jusqu’à présent. Car avant, on testait nos morceaux live. Mais là, on voulait travailler en studio avec Randy puis ensuite montrer le résultat au monde sans le tester en live.
Cette fois-ci je vais m’ouvrir à vous, vous allez avoir quelques exclusivités. L’album devrait être plus “heavy”. En fait, il y a une évolution d’album en album. Au début on était plutôt hardcore melo, puis on a évolué en allant vers des influences trash metal. Même sur le dernier album, certaines de nos influences Death Metal étaient un peu plus présentes. Sur les dernières années, on a tourné avec d’autres groupes qui sont encore plus lourds. On a “détuné” les guitares d’un ton complet. Donc on est encore plus grave, plus lourd, plus pesant. Il y a plus de breakdowns. On s’est laissé aller aux inspirations du moment, sans dire qu’on fera une copie. Ça fait 2-3 ans qu’on tourne avec des groupes comme Nasty, c’est sûr que dans l’inconscient, ces influences-là vont paraître quelque part.
PL : Génial, hâte d’écouter ça. Et comment décidez-vous si une chanson sera sur l’album ou non ? Comment êtes-vous passés de 20-30 maquettes à 10 ?
Dany : En fait, on est 4 à créer les squelettes des chansons, car JP est très occupé sur d’autres projets. Guy-Pierre propose ses idées et on compose dessus. Mais comme on n’a pas toujours assez de distance, JP aura lui la “big picture” du chant, avec ce qu’on garde, où on place le refrain etc. C’est donc quand même JP qui a un certain pouvoir de vie ou de mort sur les foetus des chansons (rires).
PL : Et avez-vous prévu d’avoir une chanson en français dans le nouvel album ?
Dany : On n’est pas encore allé là. Personnellement je n’y verrais aucun problème. Par contre, c’est JP qui choisit comment il veut écrire. C’est sa plume. Donc s’il ne se sent pas pas inspiré par le francophone, il écrira en anglais. Certains groupes comme Obey the Brave le font, donc je ne verrais pas pourquoi, mais cette décision là lui revient.
PL : Dans cette période de confinement où tu comptes plus expérimenter, comptez-vous faire une chanson cachée ou bonus, en fin d’album, avec un style complètement différent ?
Dany : C’est ce qu’on fait déjà. À la fin de chacun de nos albums, même si la chanson n’est pas cachée, elle contient toujours un truc qui est un peu plus en marge de ce qu’on fait. Sur Perdition, on avait Expiation qui est une chanson qui avait un peu plus de mélodie, plus émotionnelle. Ensuite on avait fait sur No Peace in Hell, l’espèce d’interlude musicale qui s’appelle Season of the Damned. Puis sur le dernier album, sur Infinite Punishment, on a fait Den of Tourments, où pour la 1ère fois JP chante sans distorsion. Je vous invite à l’écouter. On va aller encore dans ce sens avec le prochain album où la dernière chanson sera également en marge.
PL : Super, j’écouterai ça ! Et d’ailleurs, quelle est la dernière découverte musicale que vous pouvez nous partager ?
Dany : De mon côté, ce que j’écoute en ce moment c’est le dernier album de Code Orange. Je considère que c’est un album qui polarise. Pour un groupe harcore, inclure des éléments électroniques et se laisser aller à toute cette créativité, moi je salue l’audace. Sans dire qu’ils ont réinventé la roue, car Nine Inch Nails le faisait aussi, il y a beaucoup d’éléments Nu Metal et d’électro. Pour un groupe hardcore qui provient du “DIY” (Do It Yourself), d’un garage, se retrouver sur des scènes aux côtés de Slipknot, je trouve qu’ils ont fait du chemin depuis notre tournée en 2012. Cette expérimentation m’inspire beaucoup. Pour les autres, je sais que JP écoutait beaucoup de Death Metal traditionnel, un peu de Old School des années 90. Guy-Pierre est un grand fan de trash metal. Chacun reste assez actif niveau découverte.
PL : Comme l’interview est un exercice très répétitif pour un groupe. Quelle serait la question que vous aimeriez qu’on vous pose plus souvent ?
Dany : Justement, j’aimerais bien parler de la conciliation d’avoir un groupe qui tourne à l’international versus nos vies personnelles. C’est un sujet que j’aime aborder. Je pense qu’on couvre un large territoire lors de nos interviews, les gens nous parlent beaucoup de notre implication, de notre message, de notre art. Mais ça serait ça ma réponse : la conciliation vie personnelle et travail.
PL : Dans ce cas, quels conseils donnerais-tu aux groupes qui émergent et qui vont devoir concilier vie pro et vie perso ?
Dany : Après une décennie, on peut se considérer un peu comme vétéran sur certains points. J’étais la personne qui s’occupait plus de la partie business et du développement du projet, les autres étaient vraiment dans l’artistique. Je parlais avec telle personne pour dire j’ai telle idée, on va faire telle tournée, on va aller en Europe. D’ailleurs les gars au départ disaient “Quoi ? En Europe?”, ils n’y croyaient pas vraiment. Je leur disais “Faites-moi confiance” et finalement on y est allé. Donc ce que je peux donner comme conseil, c’est que malgré les ambitions de chacun, il toujours faire les choses dans le respect des autres membres du groupe. Parce que le seul point pour persévérer et réussir, c’est de trouver les meilleures personnes que tu connais, avec qui tu t’entends le mieux pour faire la meilleure musique possible, et de rester ensemble. On est encore les mêmes personnes depuis 2010. Parfois il a fallu que je prenne sur moi, sur mon orgueil. On a reçu des offres de tournée sur lesquelles j’avais beaucoup travaillé, mais finalement, les autres ne pouvaient pas à cause de leurs aux enfants ou de leur travail. ça me foutait le seum comme on dit chez vous. Mais finalement, par respect pour les autres personnes, tu dois parfois te coucher dessus. Et à l’inverse, si 4 personnes veulent faire une tournée et qu’1 autre est un peu moins chaud, parfois il faut savoir se plier à la demande pour le respect de tous. Sans perdre l’essence même du groupe. C’est vraiment ça que je donne comme conseil, c’est de ne pas lâcher. De jouer, d’essayer, de créer et d’être actif.
PL : Notre dernière question qu’on pose à chaque fois: quel groupe nous conseilles-tu d’interviewer après Get the Shot ?
Dany : J’adore écouter ce que dit Jesse Barnett de Stick to Your Guns. J’adore quand il parle. C’est un de mes très bons amis qui a beaucoup travaillé avec Get the Shot dans les dernières années. Et c’est une personne qui m’a quand même influencé sur un point de vue personnel. Il a une belle humanité, une belle colère, et il sait bien la mettre en pratique pour faire passer ses messages. J’adore écouter Jesse.
Un grand merci à HIM Media de nous avoir permis de faire cette interview !
Sur ce, on vous laisse avec l’excellent Blackened Sun feat. Jesse Barnett !