Gigaton

par Pearl Jam

7.5
sur 10

Après 7 ans d’absence, une éternité dans ce monde qui va toujours plus vite et particulièrement dans celui de la musique, Pearl Jam, les survivants du grunge, sont de retour avec « Gigaton » dans un contexte particulier, inédit et anxiogène. On est confiné, inquiet…la musique était importante, elle devient vitale. Cette livraison tombe donc à pic pour sortir de la morosité ambiante. C’est la 11eme du groupe de Seattle en 30 ans d’une carrière exceptionnelle de longévité, d’enthousiasme, d’activisme et de partage avec les fans.

Chaque nouvel album du groupe étant catalogué à sa sortie « album du retour en forme », on ne tombera pas ici dans ce piège. Entendons-nous bien, il n’y a pas à proprement parler de mauvais album dans la discographie de la bande à Vedder, en revanche tous les disques depuis 2000 sont moins bons que le Big 5 des années 90, de Ten à Yield (il suffit d’observer les setlists du groupe en concert – qui changent chaque soir – s’articulant toujours autour des « hits » de cette période pour en être définitivement convaincu). Alors dans quelle catégorie placer ce cru 2020 ? Dans celui des réussites artistiques (« Binaural » 2000, « Riot Act » 2002) ou des semi-échecs (les disques parus ces 15 dernières années) ? Et bien, je serais tenté de répondre « entre les 2 ».

Gigaton

Il y a clairement dans ce « Gigaton » un plaisir de se retrouver, de composer, de tenter des choses qui s’entend nettement. Soyons clair, le groupe n’a aucun besoin de sortir un nouveau disque, ils pourraient juste faire tourner la machine à cash en tournant comme le font tant de mastodontes au nom ronflant. Mais voilà, l’envie est toujours là. Pearl Jam c’est une famille, et ces types là ont des (giga)tonnes de choses à se dire et à partager : sur l’état de la planète, sur la politique américaine, sur les relations amoureuses désenchantées, la disparition de proches et tant d’autres sujets qui leur tiennent à cœur. Et surtout, ces gars sont des fans de musique, ils aiment ça, viscéralement. Tous ces thèmes seront donc abordés par le quintette sur un disque aux 2 facettes.

Comme souvent, le groupe attaque pied au plancher comme pour démontrer à l’auditeur, une fois de plus, qu’ils ont toujours l’envie d’en découdre. « Who Ever Said » et « Superblood Wolfmoon » sont des tempos rapides du meilleur effet, troussés par un Eddie Vedder en forme. Classiques mais diablement efficaces. Puis « Dance of the Clairvoyants », premier single envoyé en éclaireur, prend toute sa place dans le disque. Ce morceau est d’une fraîcheur exceptionnelle, le groupe y est transfiguré. Vedder chante comme jamais (ou plutôt comme David Byrne), Jeff Ament joue du clavier et Mike McCready envoie du riff mono-note du meilleur effet.

Inhabituel et sacrément déroutant, on est là face à ce que le groupe peut proposer de mieux aujourd’hui. Et cela va continuer sur la même veine avec « Quick Escape », le « gros morceau rock qui tâche » du disque. Vedder est grand, il est immense mais il n’est pas seul. Tous les autres sont au diapason et on se retrouve face à un grand titre de Pearl Jam (coucou les vieux fans des 90’s). Un futur classique en concert, quand ceux-ci pourront avoir de nouveau lieu (2021, ramène toi vite). Après la pause bienvenue sur l’atmosphérique et élégante « Alright », on enchaine avec un autre gros temps fort de l’opus, « Seven o’clock ». Un chant digne du boss, une mélodie inventive et un refrain qui s’envole, le groupe est inspiré et se fait plaisir, une fois de plus. Une nouvelle réussite.

Puis on passe à la 2eme partie du disque, clairement moins inspirée, moins inventive. On retrouve un groupe qui ronronne un peu plus. Vedder ne s’est pas foulé sur « Never Destination », énergique mais clairement dispensable, Cameron, Gossard et Mc Cready placent leur morceau (1 en 7 temps, sérieusement ?) mais on perd ce qui faisait le sel du disque jusqu’à présent : de la prise de risque, de la fraîcheur, des changements de rythme et un enthousiasme communicatif. Tout n’est évidemment pas à jeter (on saluera les chœurs féminins surprenants et réussis sur « Take the Long Way », le tempo jazzy sur « Buckle Up » et la finale « River Cross » par un Eddie Vedder qui a réussi sur cet album à ne pas retomber dans ses travers mielleux post Into The Wild).

Autre point très positif de ce disque : la production. Merci Josh Evans d’avoir amené cette qualité de son « propre mais pas trop ». Ce n’est pas surproduit, c’est parfaitement produit.

Pour résumer

On se retrouve face à un disque positif et engagé, à l’image du groupe. Eddie Vedder est omniprésent à la composition, pour le meilleur ou le rock à papa, mais il chante toujours aussi bien et il semble avoir compris, à 55 ans, qu’il devait utiliser sa voix différemment désormais. Il est beaucoup plus dans la nuance et arrête de vouloir passer en force à tout prix. La rage est toujours là mais c’est une rage de quinquagénaire millionnaire, une rage chic et choc.

Jeff Ament prouve  de son côté qu’il est un compositeur rare mais génial (ses 2 compositions font partie de la meilleure partie du disque, la première). Petit bémol pour Stone Gossard qui semble bien effacé sur cet album.

Les 4-5 grandes réussites de ce disque seront certainement de grands moments lors des prochains concerts du groupe. Des concerts d’une générosité absolue qui sont l’essence de ce qu’est Pearl Jam, un groupe de frères d’armes qui n’ont plus rien à prouver depuis bien longtemps, sauf à eux-mêmes. En cela, ce disque est un succès. Ce n’est pas « Ten » ni «  Vs », ce n’est pas « No Code » mais le plaisir est là et en ces temps troubles, il est extrêmement contagieux lui aussi.

Bravo les gars, et merci.

Review par Mathieu Graviere.

Gigaton

par Pearl Jam

7.5
sur 10

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