Ghosts
par Nine Inch Nails
Une surprise du plus bel écrin venant tout droit d’un groupe ayant toujours réussi à se renouveler en expérimentant les formes musicales d’où apparaît des émotions brutes remplies de sens. Ce n’est pourtant pas une sortie aléatoire comme l’indique le communiqué que Pozzo avait mis en avant, en effet, le confinement actuel à fait naître l’idée d’une suite au projet instrumental qu’était « Ghosts I-IV » sorti en 2008, reflétant plus de 10 ans après, les traumatismes d’une époque bouleversé en examinant ses recoins les plus lumineux jusqu’au plus sombre.
Il repose sur deux faces distinctes et cohérentes formant un tout qui prend suite au précédent album étant le premier de leur carrière en dehors du fameux label Interscope passant sur celui de Reznor nommé The Null Corporation, les morceaux étaient aussi courts qu’envoûtants, ressemblant plus à une grande compilation d’essais instrumentaux au contraire de cette suite s’approchant de l’album concept réflexif sur notre situation humaine, sociale et politique ayant uniquement recours à la dimension sonore.
Ce premier projet instrumental poursuit l’ambiance qu’a su former le groupe depuis les 90’s d’une façon plus ambient voire trip-hop par instants sans la voix brisée de Mr Reznor aux commandes du projet proposant des atmosphères ésotériques sans pour autant oublier de brancher sa guitare, renvoyant aux moments les plus bruyants et jouissifs de leur carrière. Outre la sortie de « The Slip », une tournée visuellement spectaculaire ainsi qu’un projet parallèle avec sa femme How to Destroy Angels, Ghosts fut un immense succès dans la seconde partie de carrière du groupe et propulsa celle de Trent Reznor et son comparse Atticus Ross, collaborant depuis « With Teeth » (2005), dans l’univers de la création originale de musique pour le cinéma et la télévision. Enchaînant les projets depuis le fructueux partenariat avec David Fincher, pour lequel ils ont signé en 2011 un premier essai magistral pour « The Social Network » qui leur a valu un Oscar de la meilleure bande originale confirmant leurs talents qu’ils poursuivront avec tout autant de génie lors de cette décennie que nous venons de terminer.
On peut constater la productivité inarrêtable de ces génies musicaux après le retour en forme de leur trilogie d’EP conclu par « Bad Witch » (2018), le plus expérimental, noise et jazzy de toute leur carrière ou le saxophone possédé de Reznor prend davantage de place sur des morceaux comme « Play The Goddamned Part » ou le frénétique « God Break Down The Door » qui en font un hommage dissimulé à un de ses mentors, David Bowie, et à son testament crépusculaire « Blackstar » sorti en 2016. Ce penchant pour le jazz apparaît de nouveau au travers de surprenants morceaux sur les compositions de la bouleversante série de Damon Lindelof réadaptant la BD culte « Watchmen » qui se développera davantage dans la bande originale pour « Soul », le prochain pixar sur l’univers du jazz.
Tout cela amène à ce double album débutant par « Ghosts V : Together » composé de 8 morceaux synthétisant des émotions pures dans un long flot musical grâce a des titres avoisinant régulièrement les 10 min et se servant d’une palette digitale modifiant sa voix en un instrument et formant des textures ambiantes rappelant le travail de Brian Eno dans les années 80 ou de l’immense compositeur Angelo Badalamenti gardant un aspect cinématographique dans ses textures sonores en n’oubliant pas d’introduire des mélodies servant de mantras revenant sans cesse. Démarrant par une association des contraires, entre l’anxiété et l’apaisement, NIN nous proposent un véritable voyage intérieur d’1h10 :
La mélodie douce et bienveillante du second morceau « Together » réapparaît dans « Apart » dans un contexte musical dérangées comme une réponse au titre précédent, formant deux faces partagées entre le positif et le négatif échangeant un même motif. L’apparition du piano et des sons semblable à un xylophone font ressortir cet espoir bienveillant de la part des compositeurs sa présence même si elle est déchiré par des sons dissonants et électroniques posant une ambiance lourde ramenant à un contexte difficile comme sur « Hope We Can Again » mais nuancé par le dernier morceau « Still Right Here » avec ses sons distordus et un piano mélancolique ouvrant la voie vers la face énervée du groupe au travers d’une guitare explosive, tout autant que les sons électroniques revenant à un repos progressif permettant l’entrée dans la seconde partie.
Together est donc un véritable voyage introspectif où l’on doit pleinement se donner à une écoute attentive pouvant amener à une méditation permettant d’oublier le chaos qui nous entoure pour se recentrer sur notre propre intériorité en plaçant nos émotions et sensations au premier plan.
Là où Ghosts V permettait de respirer, d’ouvrir des perspectives d’avenir et d’y voir un monde meurtri mais en réparation progressive des traumas du passé, « Ghosts VI : Locusts » renvoie tous les démons du présent, du passé et du futur dans plus d’une heure de matériels denses et difficiles à appréhender, offrant la subtile bande originale de nos cauchemars les plus profonds.
« The Cursed Clock » débute le second album par un rythme au piano se faisant disséquer progressivement à la manière d’une horloge, celle du Temps et de l’inévitable course avec la Mort que représente la Vie, se déconstruisant au fur et à mesure, il transparaît davantage une détresse contenue que la douce mélancolie du premier disque.
L’ambiance austère installé, le saxophone peut faire son apparition dans une sorte de ballade gothique portée par la mélodie déphasée d’un piano robotique dans « Around Every Corner » où on remarque une nouvelle fois l’importance du nom des morceaux tout aussi aussi évocateur, un titre comme « Your New Normal » fait justement froid dans le dos tout comme les sonorités étranges qui le composent. La balade nuptiale aux mélodies lugubres se poursuit avec « The Worriment Waltz » ou le saxophone revient discrètement pour prendre une place centrale dans « Run Like Hell » avec un tempo rapide se déstructurant ensuite sur l’inquiétant « When It Happens (Don’t Mind Me) ».
Le mélange des sons industriels aux instruments sans filtre, caractéristique de ce qu’on retrouvait sur le classique « The Fragile » (1998) retrouve de son génie par le biais du mixage sonore recréant à elle seule des atmosphères dignes des plus grands thrillers comme sur l’oppressant « Another Crashed Car » et « Temp Fix ». Un peu d’espoir revient dans « Trust Fades » au milieu de ce champ noir et sordide que peint ce second album évoquant vers sa fin des morceaux qu’aurait pu faire Badalamenti pour Twin Peaks ou Mulholland Drive. Ce souci du détail sonore permanent permet à l’auditeur d’y voir des espaces sonores que l’on ressent particulièrement dans « Just Breathe », les textures s’éclatent et se déchirent, passant d’atmosphères repoussantes mais calmes (« Right Behind You » et « So Tired ») à des bombes à retardements sonores qui pourraient provoquer de véritables sueurs froides à quiconque écouterait cela la nuit (« Turn This Off Please » et « Almost Dawn »).
Ce projet termine par un battement de cœur signifiant qu’au-delà du désespoir, la vie continue. Ce n’est qu’une interprétation, le duo laissant place à l’imagination de l’auditeur au travers de leurs expérimentations ouvrant sur un champ des possibles exaltants.
L’art étant un outil complexe, il devrait servir, non pas à voir et entendre ce dont nous avons envie, mais à nous projeter dans un univers proposé par l’artiste ayant réussi à construire un espace cohérent et original permettant à son auditoire d’y étendre son esprit de passionné et ouvrir son imaginaire au travers des interstices du hors champ, délibérément placé par son créateur.
Pour l’écouter, c’est gratuit et c’est par ici :
- Youtube
- Site de NIN (téléchargement légal et gratuit)
Ghosts
par Nine Inch Nails