Ultra Mono
par IDLES
En seulement trois albums, IDLES est vite devenu l’un des plus intéressants du moment. Des paroles engagées, un revival punk grandiloquent, une énergie unique et un son ébouriffant. C’est ce qu’avait procuré en 2017 « Brutalism« qui terrassent musicalement l’auditeur mais marque par ses paroles profondément touchantes. Ne s’arrêtant plus, les anglais vont en 2018 devenir le groupe rock à absolument suivre pour un album « Joy as an act of resistance« et de nombreux lives époustouflants accompagnant le projet.
Idles provoque, Idles unifie, Idles devient universel.
Les paroles et les performances de Joe Talbot surviennent comme des catharsis d’un peuple énervé et lassé qui se cristallise en une musique excitante devenant un apaisement purificateur. Depuis quelques mois, l’attente était difficile tant les singles faisaient baver. Le résultat est là mais qu’est-ce que vaut réellement cet ‘’Ultra Mono’’ ?
L’album est à l’image de sa cover, un condensé énergique et énervé d’un groupe qui explosent d’amour, qui vous met une gifle d’affection, qui fait vibrer votre corps de la tête aux pieds et fait battre votre pouls plus vite. Explosif, le début de l’album l’est, nous savons déjà que Joe et sa bande ne sont pas là pour rigoler et pourtant les paroles peuvent paraître absurdes :
Wa-ching ! That’s the sound of the sword going in ! Clack-clack clack-a-clang clang ! That’s the sound of the gun going bang-bang ! – War
Elles reflètent les conflits intérieurs de chacune des personnes essayant de survivre dans cette société aliénée, violente et déraisonnés. La guitare se distord, Joe gueule puis chante sur des partitions déchainées pour revenir à une instrumentalisation plus abstraite mais entêtante sur Grounds. L’unité de Joy revient comme un rappel fondamentale d’être dans une communauté, celle de la musique et de rester fort ensemble face aux problèmes, tout le monde peut les rejoindre dans le confort vital et brutal que proposent leurs musiques qui se placent contre l’apathie actuelle de notre société face à la douleur.
Saying my race and class ain’t suitable So I raise my pink fist and say black is beautiful – Grounds
Le groupe n’est pas là pour jouer dans la subtilité, le propos est davantage mis en avant que sur les anciens projets. Certains trouveront cela de trop, d’autres seront justement touchés par leurs messages.
Dans mon cas, je trouve cela quelques fois balourds mais toujours sincères, Mr Motivator réussi largement dans ce cas en tant que premier single du projet assurant un morceau typique de la part des Britanniques. Toujours incisif dans leurs commentaires politiques allant plus frontalement face aux problèmes offrant de nombreuses paroles instantanément culte. Comme son titre l’indique en représentant l’album en une boule explosive de positivité avec des refrains à crier en concert comme son mantra « You can do it ! ».
Le projet ne laisse presque jamais de répit avec Anxiety et son utilisation de la batterie et du mixage qui utilise la force et la rapidité des coups comme rythme qui explose d’une manière démoniaque vers sa conclusion rendant le morceau aussi chaotique qu’il est jouissif même s’il paraît presque absurde dans son exécution due aux paroles et aux performances volontairement over the top.
Kill Them With Kindness suit la même trajectoire musicale et les mêmes thématiques. Si le message n’était pas passé avec la cover, les paroles vont le dire plus directement dès le titre qui vient de mon point de vue redire ce que disait le groupe sur le dernier album et même s’il reste infiniment plaisant à écouter, lasse davantage par la répétitivité esthétique et thématique de l’ensemble dont je retiens son étonnante introduction au piano brisé par le riff.
Heureusement, l’excellent Model Village vient directement booster la dynamique ou la talentueuse exécution du groupe se retrouve parfaitement mise en scène par des commentaires cyniques sur les petits villages anglais. On aperçoit donc ici la force et la limite du groupe au travers de cet album, on ne remet pas en cause l’excellence des musiciens mais le résultat qu’ils donnent en studio est une puissance contenue qui parvient tout de même à des pics de force sur ce morceau justement (au clip fou du génialissime Michel Gondry).
Ne Touche Pas Moi est presque l’inverse, il fonctionne extrêmement bien dans sa dynamique globale donnant un souffle entrainant mais butant avec l’aspect beaucoup trop frontal des paroles. Si vous ne comprenez pas avec la répétition du « Consent ! » ou du titre même si l’apport d’une voix féminine vient agrémenter le propos d’une façon cohérente et surprenant agréablement un fervent auditeur du groupe.
La suite n’est pas plus étonnante mais tellement séductrice avec Carcinogenic qui est un nouvel hymne pour vivre au présent et partager son amour au sein d’un système inégalitaire devenant un véritable cancer pour l’Angleterre (s’appliquant à l’Europe en général) étant un paradoxe vital d’un besoin de positivité même quand tout va au plus mal.
Si l’album a eu de beaux moments et a donné une adrénaline revigorante, Reigns est le point culminant de l’album et pourraient bien être une des plus grandes réussites d’Idles. Une guitare distordue, une batterie mécanique, un refrain entêtant et des saxophones des enfers pour un déluge musical dans une forme minimaliste (même dans les paroles) pour une explosion jouissive. Idles va droit au but avec ce morceau qui fera un déluge en concert étant une continuation stylistique du projet « Ultra Mono » et son pic émotionnel en allant directement à ce qui fait la source brute du groupe en ajoutant un instrument donnant une atmosphère chaotique enivrante à écouter encore et encore.
Le projet laisse respirer quelques secondes pour revenir lentement mais surement, en un contrecoup au précédent morceau aux éclairs brutaux orchestré par le duo batterie guitare qui marque le rythme de marche de guerre se calmant un court moment pour mieux pouvoir se libérer par la suite dans un style purement punk comme on aime au travers du « Eat Shit ! »
Libérateur, franc et subversif, il ouvre à notre vulnérabilité tout en prouvant une franche désinhibition cathartique.
Fuck you I’m a lover – The Lover
La continuation thématique devient passionnante quand le projet musical évolue dans A Hymn. Après le déluge, voici le moment de repos et c’est dans ses moments qu’Idles peuvent davantage se démarquer grâce à des ambiances new wave rappelant leurs collègues d’Interpol. À chaque album, une bombe à retardement, comme le dévastateur « June » pour Joy ou le mélancolique « Slow Savage » dans Brutalism.
A Hymn fait preuve d’une profonde beauté sombre et bouleversante agissant en une longue promenade dans les abysses de sa propre noirceur où chaque être ne veut qu’une chose : « Être aimé, comme tout le monde » (« I want to be loved. Everybody does. »). Joe touche émotionnellement, une nouvelle fois, par sa voix caverneuse et accueillante le long de ce morceau de cinq minutes étant le plus long de l’album mais n’en paraissant pas autant par sa sincérité émouvante.
La conclusion aux accents de fanfare chaotique pourrait très bien décrire l’entièreté de ce projet : Trouver l’ordre dans le chaos, parfois excessif, parfois répétitif, parfois sublime.
« Ultra Mono » reste un des événements musicaux qui marquera l’année rien qu’avec une poignée de morceaux gravés dans la mémoire par la sincérité qu’offre une nouvelle fois ce partage d’amour violent qui brise les barrières et l’urgente nécessité qu’a le groupe à nous exprimer leurs opinions. Comme l’avait fait Jeff Rosenstock pour le pop punk cette année avec « No Dream », Idles redonnent des lettres de noblesse au post-punk / punk grâce à un aspect technique réussi. Le chaos paraît finalement appréciable, le son reste massif mais le groupe est parfois bloqué dans une zone de confort tombant vers le milieu de l’album dans une légère répétitivité au niveau de l’utilisation de la batterie et du groove.
Pourtant, la simple puissance des deux premiers albums est encore présente et vaux à l’album d’être écouté plusieurs fois pour y découvrir des nouvelles sensations qu’offrent les innovations de ce projet trop calibré mais parfaitement exécuté qui en fait surement leur album le plus cohérent d’une discographie qui s’enrichit merveilleusement bien au fil des années.
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Ultra Mono
par IDLES