Nous avons rencontré Anton Kabanen pour parler de Dark Connection, le troisième album studio de Beast in Black. Il nous en a dit plus sur son amour des années 80, des mangas, et sur sa recherche permanente de la simplicité.
Pozzo Live : Salut Anton, merci de nous recevoir ! Comme ta musique sonne très années 80 avec toutes ces nappes de synthés, je me suis dit qu’on pourrait commencer l’interview sur ce thème, qu’en penses-tu ?
Anton Kabanen : OK, pourquoi pas, je suis là pour répondre à toutes tes questions, mais ne me torture pas trop quand même hein ?
PL : Quel chanteur ou groupe des années 80 aimerais-tu accompagner si tu le pouvais ?
AK : Si je pouvais voyager dans le temps, j’adorerais travailler avec Rob Halford [ndlr: le chanteur de Judas Priest].
PL : Judas Priest a eu une grosse influence sur toi ?
AK : Oui, déjà il font des super chansons, et c’est la base de tout pour moi. Si tu es un grand chanteur, mais que tes chansons ne suivent pas, ça ne t’emmènera pas très loin. Judas Priest a les deux, c’est un peu l’association parfaite. Ils étaient, et restent, mon groupe de heavy metal préféré avec Manowar. Je pourrais aussi te citer Wasp, Accept, et Black Sabbath à l’époque de Tony Martin. Ce sont vraiment mes 5 groupes de coeur, même si je ne les écoute plus trop aujourd’hui. J’ai écouté leurs albums des milliers de fois, et maintenant je me concentre un peu plus sur découvrir des groupes de synth pop des années 80 ou de Eurobeat des années 90-2000.
Pozzo Live : C’est un grand écart avec le heavy metal ! Qu’est-ce qui te plait dedans ?
Anton Kabanen : J’aime bien qu’ils aient de bonnes mélodies. C’est ce qui les rapproche des groupes de metal que je te citais : de bonnes mélodies, des chansons bien structurées, de bons riffs… En Eurobeat les chanteurs sont généralement moyens, mais les chansons, les riffs de clavier…
PL : Tu essayes d’allier ces deux styles dans tes chansons ? On y retrouve notamment le même esprit de refrains accrocheurs…
AK : Pas forcément consciemment, non. Généralement tout démarre de quelques mots qui déclenchent l’idée d’une mélodie, qu’il faut que je note. C’est comme ça que tu construits de bonnes chansons, en exploitant au maximum ces petits pics de temps de cerveau. Je n’aime pas trop penser à si le public aimera, ou si ça ressemble à des choses qui marchent et que j’ai déjà entendues. Je préfère laisser mes pensées s’écouler, et laisser toutes les choses que j’ai vécues depuis l’enfance m’influencer et diriger mon inspiration. Je vais te raconter une anecdote qui résume bien ma façon de travailler. Il y a quelques semaines j’étais au restaurant avec un ami, et j’ai entendu quelques mots prononcés par une vieille femme à la table à côté. Je n’écoutais pas ce qu’elle disait, mais tu sais, tu entends malgré toi. A un moment elle a prononcé trois mots, et je ne sais pas pourquoi, ça a déclenché quelque chose dans ma tête. Je me suis dit que ces trois mots marchaient bien rythmiquement, et ça a fait boule de neige : une mélodie s’est mise en place, puis des riffs, et j’avais une chanson dans la tête.
PL : Que fais-tu quand ça t’arrive, est-ce que tu gardes un carnet sur toi pour noter tes idées ?
AK : Non non, je les garde juste dans ma tête. Si j’ai du temps, je les transcrits sur mon portable avec mon vieux Guitar Pro 4 que j’utilise depuis presque 20 ans. Mais si je n’ai pas de temps, comme maintenant avec la promotion de l’album, je pense tous les jours à ces idées et je me les répète. Il m’arrive – rarement – d’en oublier certaines, j’ai perdu quelques idées que je trouvais vraiment bonnes, mais dans ces cas-là, je me dis que c’est le destin. J’accepte mes limitations, et je me dis que d’autres idées aussi bonnes viendront occuper ma tête à leur place ! (rires) Tu sais, une de mes plus vieilles idées, que je n’ai jamais posée sur papier, remonte à plus de 15 ans. Quand je me suis installé à Helsinki en 2006, je me rappelle avoir travaillé une chanson sur ma guitare acoustique qui avait 7 ou 8 parties, et j’ai toujours chaque note en tête malgré le fait que je ne l’ai écrite nulle part ! Je pense que je l’enregistrerai un jour, car si après tout ce temps elle est encore là, c’est qu’elle doit valoir le coup quand même.
PL : Si tu pouvais voyager dans le temps et rapporter quelque chose des années 80, qu’est-ce que tu prendrais [ndlr: Anton est né en 1987] ?
AK : Une seule chose, c’est difficile de choisir ! Je pense que je rapporterais la simplicité que les choses avaient à l’époque, pas seulement au niveau musical. Les gens n’étaient pas aussi cyniques qu’aujourd’hui. Ils avaient une forme de naïveté, dans le sens positif du terme. Les gens sont maintenant si au courant de tout, tout le temps à la recherche du meilleur, ils savent tout mieux que leur voisin… Dans les années 80, j’ai l’impression que les gens laissaient plus les choses couler, ils mettaient plus d’âme et de coeur dans leur musique, sans se préoccuper si c’était intelligent ou bon, il y avait plus d’honnêteté dans leur démarche. Donc oui, je rapporterais cette simplicité, et je l’entends vraiment dans un sens positif.
PL : Lequel de tes titres choisirais-tu comme générique de série TV des années 80 ?
AK : Oh, j’en ai écrit tellement, je vais me limiter au dernier album sinon c’est impossible. Je pense que One Night In Tokyo marcherait pas mal sur une série des années 90. Il y a cette simplicité, la chanson est courte, plutôt réjouissante… ça pourrait même être le titre de la série (rires) !
Pozzo Live : Parlons quand même de Dark Connections. Tu l’as dédié à Kentarō Miura, le créateur du manga mediéval-fanstastique Berserk. Pourquoi t’a-t-il autant inspiré ?
Anton Kabanen : Il faut garder en tête que toute la production de l’album était déjà bouclée avant la mort de Kentarō [ndlr: le 6 mai 2021]. Nous finissions le mixage quand la nouvelle est tombée. Si on avait commencé plus tard, je pense que le contenu de l’album en aurait été encore plus affecté. Mais le moins qu’on pouvait faire, c’était de lui dédier l’album immédiatement. Il y a 3 titres directement basés sur Berserk dans l’album : Dark New World, To The Last Drop Of Blood, et Broken Survivors, même si la thématique générale de l’album est plutôt centrée sur le Cyberpunk. Mais Berserk ne disparaîtra jamais de Beast in Black, c’est l’univers qui m’a donné envie d’écrire. Même le nom du groupe est basé dessus. Le personnage principal, Guts, est connu aussi sous le nom The Black Swordsman, et son démon intérieur s’appelle The Beast of Darkness. Et donc pour le nom du groupe j’ai combiné ces deux éléments pour faire Beast in Black. C’est aussi parce que je tenais à garder le mot Beast après ma séparation d’avec Battle Beast, pour faire le lien avec le futur groupe.
PL : Est-ce que ça veut dire que tu es un geek ?
AK : Oui, je suis sûrement un geek des anime. Je ne joue pas beaucoup aux jeux vidéos, mais – ça va te paraître bizarre – je regarde des play-throughs de vieux jeux PC, Nintendo ou Sega sur YouTube. Je les mets en bruit de fond quand je fais des choses, c’est quelque chose qui me fait me sentir chez moi, confortable. Peut-être parce que ça me rappelle l’ambiance de quand j’étais enfant et que j’ai un lien émotionnel avec ça ? Mais encore une fois, ça renvoie à la simplicité : les graphiques étaient plus simples, les compositions aussi. Donc si j’ai un côté geek, c’est probablement dans ma manie d’explorer les choses à moitié oubliés, qui sont de niche et pas tellement grand public. Souvent ça n’intéresse personne à part un ou deux de mes amis.
PL : Tu me disais tout à l’heure que peut-être un jour tu écriras un concept-album. Mais cette thématique du cyberpunk, ce n’est pas déjà un concept en soi ?
AK : Non, c’est plutôt juste un retour aux sources pour moi. Le premier album de Battle Beast, Steel, qui est sorti en 2011, était déjà influencé fortement par cette thématique. C’est là que j’ai commencé mon voyage personnel d’artiste de scène. Et j’ai une passion pour cet univers depuis mon adolescence. J’ai ressenti un besoin de revenir à cet univers avec Beast in Black.
PL : Etait-ce un moyen de clore définitivement le chapitre Battle Beast ?
AK : Non, je ne pense pas. C’est vraiment juste un retour à quelque chose que j’aime, et un recommencement de quelque chose que j’avais laissé incomplet. C’est comme si j’avais appuyé sur pause sur mon lecteur DVD, et que j’avais attendu 10 ans pour appuyer à nouveau sur le bouton de lecture.
PL : Tu joues évidemment un rôle central dans le groupe. Quelle contribution apportent les autres membres ?
AK : C’est quelque chose que je dis souvent, mais nous travaillons de manière assez peu orthodoxe comparé à d’autres groupes. J’ai une passion pour l’écriture de musique depuis que j’ai 12 ou 13 ans, quand j’ai eu ma première guitare électrique. La composition est vraiment une seconde nature pour moi. Et j’ai des idées tellement arrêtées sur la manière dont les guitares, la batterie, la voix doivent se combiner, que je dois me fier à mon instinct. Composer, c’est comme le sang qui coule dans mes veines, je ne peux pas enlever ça de moi. Mais en même temps, c’est la partie la plus facile de l’écriture d’un album, ça ne me prend pas beaucoup de temps. C’est après que les autres entrent en jeu. Ne serait-ce que pour la sélection des chansons, car j’ai des milliers d’idées et des centaines de chansons complètement écrites. Il y a ensuite toute la phase d’enregistrement en groupe. Yannis [ndlr: Papadopoulos, chant] par exemple apporte beaucoup de musicalité, il est extrêmement précis dans son approche des morceaux, et il nous pousse dans nos limites. Quand le groupe travaille ensemble, on fait attention que chaque détail apporte sa contribution à l’ensemble, sans pour autant se noyer dedans. Et il y a aussi tout le travail sur les visuels, les vidéos, la scénographie… Et quand tu pars en tournée, si tu n’as pas des liens solides entre tous les membres, ça ne peut juste pas marcher. C’est ce qui fait que Beast in Black est un groupe, et pas un projet solo accompagné comme d’autres artistes que je ne nommerai pas. Mais j’insiste : la composition est vraiment la partie facile, c’est l’ossature des morceaux. Mais sans tout le travail du groupe, ça resterait un squelette sans chair par-dessus.
Pozzo Live : Merci pour tes réponses à nos questions. Pour finir, quel artiste Pozzo Live devrait-il interviewer après toi ?
Anton Kabanen : C’est difficile de répondre parce que les groupes que j’écoute soit n’existent plus, soit ne font plus de musique aussi bien qu’avant. Si je devais choisir, je te dirais d’interviewer Abba. Ils viennent de sortir deux nouveaux titres, et ça serait intéressant de savoir ce qui se passe en ce moment. Il faut du courage pour sortir de nouveaux titres après tout ce temps !
Merci à Anton d’avoir répondu à nos questions ! L’album Dark Connections sort le 29 octobre 2021 chez Nuclear Blast Records. Il sera disponible en digital album, CD, Vinyl, et Vinyls collectors (5 coloris, 300 pièces par coloris dont certains exclusifs aux marchés UK, US et aux site EMP et Bravado). Il est disponible en pré-commande sur le site du label.
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