On ouvre le bal des interviews réalisées lors du Printemps de Bourges 2023 avec un guest de taille : Flavien Berger. Le mois dernier, il a sorti Dans cent ans, un nouvel album qui s’ajoute à Léviathan et Contre-temps pour former une trilogie. Nous avons alors discuté de son album plus en détails, mais aussi de son rapport au temps ou aux autres arts.
Pour ceux qui ne te connaîtraient pas, peux-tu te présenter ?
Je suis Flavien Berger, je suis auteur-compositeur-interprète de musique. Entre autres. J’ai sorti mon troisième album ce mois-ci, j’ai sorti mon premier disque en 2013 donc ça fait 10 ans que je fais de la musique de manière publique. Je chante mais c’est aussi de la musique sans paroles parfois. Je fais de la musique aussi sur un label indépendant (Pan European Recording), je ne suis pas signé sur une major. On se voit parce que je vais faire des concerts, je suis en tournée. C’est ma troisième tournée et je suis tout seul sur scène.
Ton dernier album, Dans cent ans, aborde les thèmes du temps et de la mort. On avait déjà cette première thématique dans Léviathan et Contre-temps. Malgré tout, tu as avoué que cette obsession du temps n’était pas consciente et que le temps était inhérent à la musique. Pourtant, tu n’as pas l’impression qu’avec la musique, tu déjoues le temps ? D’un côté parce que tu laisses un disque qui sera postérieur à toi et aussi parce que lorsque tu composes, tu te sens hors du temps ?
Complètement. Déjouer le temps, c’est super beau, parce qu’il y a un truc du jeu. Les règles du jeu, je ne les connais pas trop, mais il y a un jeu. À partir du moment où je fais de la musique qui infuse dans une idée un peu meta, parce que mes disques parlent de moi en train d’apprendre à faire de la musique. J’ai pas un projet très clair pour ma musique, j’entends des choses et j’essaie de les retranscrire au plus proche. C’est un exercice sans fin. La musique en soi est un vecteur d’expression assez magique. Et on ne peut pas parler de musique si on ne parle pas de temps, parce que c’est là-dedans que ça prend racine. Un morceau de musique, ça dure le temps que ça dure. Je suis quelqu’un du disque, j’aime bien faire des lives mais c’est avec le disque que je me réalise. Réussir à circonscrire dans un format une intention d’un moment.
On a une vie, elle se déroule, et au sein de cette vie, le sujet est de savoir ce qu’on aime faire sur cette planète, ce qu’on fait pour soi, pour les autres. Et moi j’ai beaucoup de chance car j’ai trouvé la musique qui est aujourd’hui inquestionnable dans ma vie. C’est là où je me sens bien, là où j’arrive à me projeter. J’ai de la chance parce que je peux en parler. Déjouer le temps, c’est déjouer la mort, et déjouer la mort c’est s’occuper de sa vie.
Je reviens sur ce que tu as dit sur la musique qui te permet de retranscrire un moment ou une émotion. Comment tu arrives à canaliser ces éléments pour les retranscrire en musique ?
C’est en plusieurs temps. Ça passe par l’écriture et je suis en veille de ces petits instants-là. Je les note sur un carnet ou sur mon téléphone : par exemple, les oiseaux qui font de l’ombre sur une place quand c’est le matin. Ça, on l’a tous vu. Tu le notes, un jour tu écris un morceau – « Feux Follets » qui parle de deuil – et tu l’intègres, donc ça donne un contexte. C’est une belle image, mais il faudrait qu’on capte qu’on est sur une place et que des oiseaux passent. C’est un peu comme quand t’écris un scénario en fait ou un bouquin. Ces images me servent à ne pas parler directement de la chose dont je veux parler.
Dans ton clip « Feux Follets », qui a été réalisé par Vimala Pons, c’était la première fois que tu apparaissais sans être un cameo. Comment s’est passée la réalisation du clip ? Il me semble que l’idée t’est venue dans un rêve ?
Je fais une psychanalyse donc j’essaie d’être chaud sur les rêves, c’est un super matériau de départ. J’ai rêvé comme ça de cette vidéo, où c’est un copain qui me montre une vidéo qu’il a tournée. On voit quelqu’un du haut qui est tracté. Et je me dis que c’est une super idée. Je me réveille et je suis pas très persuadé que c’est la vidéo de mon ami. Et puis le soir je réalise que c’était mon idée puisque c’était dans mon rêve ! Ce dispositif-là, il marche que si on chante. Et je vais pas faire chanter quelqu’un d’autre. Donc vas-y, je chante. Et je chante que si je suis en accord avec la personne qui me filme.
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Et moi j’adore le travail de Vimala Pons, j’ai vu son dernier spectacle avec Tsirihaka Harrivel. Elle joue aussi dans des films, elle fait un peu de musique, on a des amis en commun. Je lui ai demandé si ça la tentait et elle n’avait jamais réalisé de films. Il y a eu un truc commun, une volonté de se proposer de mélanger les univers et de se faire confiance.
J’avais toujours refusé de faire du playback parce que je trouvais ça bizarre, tout le monde sait que tu chantes pas. Et au final ça intervient au troisième album, il y a une sorte de faux tempo mais j’aime bien cette idée-là. Si je l’avais pas fait maintenant, peut-être que je l’aurais jamais fait. Et c’était la condition pour travailler avec une artiste que j’aime. C’est souvent ça le prétexte de ma musique : de m’amener à des endroits de collaboration. Ma pratique, je la justifie dans le fait de pouvoir collaborer avec d’autres artistes dont j’aime le travail.
Le rêve et l’inconscient sont d’autres thèmes importants de ton album. Est-ce que tu considères, de plus en plus, que tes rêves peuvent être une source d’inspiration, une fenêtre sur des graines qui germent dans ton esprit en arrière-fond ?
Complètement. Les rêves, je les prenais comme des choses données. Maintenant que je fais une analyse, j’ai l’impression que c’est encore plus performatif. J’actionne encore plus les rêves. Ce sont plus des phénomènes magiques, ce sont des choses que t’alimentes. On en parle pas beaucoup de rêves au jour le jour, mais c’est un truc de malade !
C’est clair, moi je les note ! Et puis tu te rends compte que tes rêves sont pas si loufoques que ça quand tu les regardes de plus près.
Clairement ! Mon analyse est lacanienne et Lacan a permis ce jeu sur les mots. Notre cerveau nous fait des jeux de mots, il déguise le désir par l’assemblage de mots. C’est comme en musique : parfois ce sont des assonances qui te font penser que c’est tel mot, mais c’est autre chose. C’est ton cerveau qui te piège. Puis j’ai accepté de travailler avec l’inconscient avec ce disque. Les choses que j’écris m’échappent. T’écris une chanson, tu penses que ça parle de quelque chose mais ça parle d’autre chose. J’ai accepté de ne pas être en maîtrise de mes sujets, à tel point que j’ai écrit des morceaux dont je ne connais pas le sujet. « Soleilles » je sais pas de quoi ça parle. J’ai des visions, mais c’est tout.
Peut-être qu’avec le temps, le sens viendra.
Peut-être. C’est presque Rorschach en fait, tu décides si ça résonne ou pas avec des formes qui te font penser à des choses que t’as vues. Les gens écoutent parfois un morceau pour d’autres raisons que celles pour lesquelles tu l’as fait. Il faut l’accepter ça aussi. Je sais que quand je sors un disque, je me dis qu’on verra bien comment ça résonne.
Je voulais revenir sur un autre clip, « Berzingue », qui a été élaboré par Jamie Harley à l’aide d’une IA. Peux-tu me parler de ce clip ?
Jamie Harley est dans le label depuis longtemps, il a déjà fait un clip pour moi. Depuis longtemps, je voulais travailler avec le deep dreaming, qui est la technologie d’intelligence artificielle qui précède ce clip-là. C’est psychédélique comme vision, presque lysergique (LSD). Quand j’ai vu que Jamie avait fait un clip pour Koudlam (aussi dans le label) avec cette technologie-là, je me suis dit que c’était le moment que j’attendais depuis au moins cinq ans. « Berzingue », je sais pas trop de quoi ça parle, mais je pense que ça parle d’Internet. C’est l’idée du flux, de l’algorithme, donc de l’intelligence artificielle. Donc gros trip, gros voyage dans un labyrinthe d’images infixables. Ça va trop vite pour les yeux et le cerveau. Je suis trop content de ce clip. Je pense qu’on arrive à un moment où l’utilisation de cette intelligence sera bientôt galvaudée. Donc on est entre les deux.
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Tu as démontré beaucoup d’intérêt pour des plasticiens comme Laure Prouvost ou Pipilotti Rist, qui fait partie d’une de tes inspirations pour le titre « Pied-de-biche ». Est-ce que pour toi, le musicien est un comme un plasticien qui manipule la musique comme une matière pour lui donner la forme qu’il souhaite ?
Complètement. Ce morceau soulève la question du politique dans la musique, c’est à double tranchant. Le fait que je parle de ma mère et de Pipilotti Rist… c’est un morceau qui se veut un tout petit peu évoquer le féminisme. Je fais un travail de déconstruction qui ne sera jamais terminé et je sais pas si je le dis ou pas, parce que ça fait vite le mec qui se la pète et qui veut être allié. À quel moment je fais une chanson pour qu’elle me rende cool et à quel moment je la fais parce que c’est important pour moi ? Le fait est que c’est super important pour moi. Ce sont des sujets et il y a des féminismes. Mais c’est une porte d’entrée pour que je me redéfinisse au sein de la société, au vu de mes privilèges.
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Dans une logique intersectionnelle, je me suis jamais autant placé qu’aujourd’hui. Il y a des questions que je m’étais pas posée il y a dix ans. Donc ce morceau touche du doigt cette perspective que j’aimerais mettre en avant. Il y a des éléments de prise de pouvoir qui existent et je les note. Dans la vidéo de Pipilotti Rist, on voit une meuf qui éclate une voiture avec des fleurs. Il y a une violence douce là-dedans mais il y a une grosse colère. Pour revenir sur la question des plasticiens, moi je viens des arts plastiques. Pendant longtemps, je pensais pas que je ferai de la musique, jusqu’à ce que je sorte mon premier disque. C’était un fantasme, pas un projet de vie. Donc en effet, la musique me permet de dire autre chose que des choses musicales. Et inversement, ma musique n’est pas inspirée par la musique.
Question qui m’est assez personnelle, mais je voulais savoir si t’avais écouté Dawn FM de The Weeknd ? Je te demande ça parce qu’il y a un thème commun qui est celui de la mort. Au début de ton album, on a un décollage, sauf que sur Dawn FM, c’est plutôt une balade en voiture avec la radio qui accompagne le personnage.
Ouais, c’est vrai. Dans « Feux Follets » il y a le truc de radio aussi avec Double Diable Radio. J’aime bien la voix de Jim Carrey aussi. Il y a une belle prod, j’aime bien Oneohtrix Point Never qui a réalisé l’album avec lui. Il vient de la musique expé, ambiante américaine. C’est un producteur qui rajoute une couche d’exigence dans les matières. J’aime bien son travail.
Et enfin notre question signature, quel artiste vous nous recommanderiez d’interviewer ?
Je vous recommanderais d’interviewer Leoni Leoni, c’est une artiste suisse-allemande qui fait de l’ambient/lo-fi trop belle. C’est la musique que j’ai le plus écoutée l’année dernière. Je l’ai vu en concert, j’ai trop kiffé. C’est simple mais c’est hyper grand, ça libère quelque chose et ça m’émeut beaucoup, sans être triste. Je serais curieux de lire des interviews d’elle.
CONCLUSION
Merci à Flavien Berger de nous avoir partagé sa vision assez philosophique de la musique, mais aussi de la vie et du monde en général. Pour ceux qui aiment son art ou qui sont curieux de le découvrir, sachez qu’il sera à l’Olympia pour deux dates, les 4 et 5 mai 2023. Pour vous procurer une place (attention, le 4 est complet), rendez-vous sur la billetterie de l’Olympia !
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