The Beggar

par Swans

9.5
sur 10

L’aura mythique de Swans et de Michael Gira ne sont pas les seuls atouts de ce dernier album qui semble annoncer la fin d’une ère.

Au fil des décennies, Swans a autant évolué dans la composition de ses membres que ses compositions musicales. Au centre, le musicien californien Michael Gira, figure à l’origine du groupe. Dans les années 80, Swans est passé de la punk no-wave à de la folk planante, mêlant les genres au fil des projets jusqu’au grand classique, Soundtrack for the blind en 1996. À l’acmé de leur ambition artistique, Michael Gira décide d’arrêter la formation pour poursuivre avec des projets solos et un autre groupe, Angels of Light.

En 2010, des cendres de l’ancien groupe, une nouvelle formation naquit. A l’opposé de certains retours d’ancien groupes, Swans a perçu l’opportunité de revitaliser leur musique. Un album en guise d’introduction, My Father Will Guide Me Up a Rope to the Sky, suivi d’une trilogie d’album marqua non seulement l’histoire du groupe mais celui de la musique rock en général.

Repoussant les limites du genre, ils ont composés avec The Seer, To Be Kind et The Glowing Man, trois albums cherchant, à leur manière, d’expérimenter avec les bases de la musique rock. Que cela soit l’étrangeté horrifique de The Seer, la puissance dévastatrice de To Be Kind ou les montées en puissances spirituelles de The Glowing Man. En somme, une révolution sonore de ce que peut être la musique rock. Loin d’être raté, Leaving Meaning pâlit de la comparaison avec les efforts précédents.

Après une pandémie annulant leur tournée, Gira eut le temps de créer un nouvel album, The Beggar, dont le récent concert lyonnais laisser présager l’atmosphère funèbre à venir.

LIVE THROUGH ME

En douceur, l’album débute sur The Parasite, morceau acoustique agrémenté d’effets au fil des paroles désabusées de Michael Gira. Comme rongé de l’intérieur, le parasite se reflète dans l’étrange sonorité des guitares. Le chanteur évoque une poésie morbide hypnotisant l’auditeur, sa voix avalant progressivement l’entièreté des sons alentour. La conclusion garde ce calme dans une ambiance angélique, presque mystique, au sein des sonorités drones.

La cadence s’accélère légèrement sur le groove entrainant de Paradise is Mine, premier single qui mettait l’eau à la bouche. Un rythme lent se répète accompagné par la voix trainante de Gira terminant par une explosion contenue, décuplant l’effet émotionnel. La formule type du groupe fonctionne grâce à l’arrivée de la batterie, rajoutant une lourde présence à laquelle les sons tordus et psychédéliques de la guitare finissent de créer une atmosphère prenante.

À l’opposé, Los Angeles : City of Death démarre rapidement pour finir aussi vite. Morceau le plus court de lalbum, il rappelle létrange beauté de lexcellent The Great Annihilator, album majeur de leur première partie de carrière. La conclusion semble être une course contre le temp, la mort et donc la finitude.

MEMENTO MORI

Par la mélancolique beauté de son sujet, la mort, Michael is Done vient exprimer un sentiment profond. Accompagné d’une voix féminine, Michael Gira évoque son décès future, sans morbidité, par l’élan de vie que convoque l’orchestre l’accompagnant. Le titre se referme en miroir au premier couplet, une légère tristesse contrastée par ce rare moment musical de bonheur rappelant l’esthétique de White Light from the Mouth of Infinity.

Lente balade folk, Unforming est une manière d’accepter une fin inévitable. La douceur des nappes sonores, les quelques notes de pianos et de guitares font de ce moment une pause. Un pur instant de légèreté. Le talent poétique de Michael Gira prend son envergure, touchant par l’intimité qu’il nous accorde. Même au sein des titres les plus doux, une puissance abstraite s’y dégage.

L’ambiance flottante devient mystérieuse sur le morceau titre. La cadence des paroles et des instruments dilate l’attente d’une explosion sonore à travers des paroles obscures. La poésie macabre, semblable à celle de The Parasite, se joint à une atmosphère lugubre et fascinante. Dernier moment de flottement avant une explosion de riff, les paroles ralentissent la cadence jusqu’au cri perturbant de Michael Gira, relançant le même riff. Transcendantale, ce morceau l’est. Le résultat hallucinant rejoint instantanément les grands moments de cette formation.

TO BE KIND

En forme d’apaisement, le groupe poursuit par une balade folk désarmante de sensibilité. No More of This est une forme d’adieux, d’acceptation de la fin pour un possible après. Bouleversante de simplicité, elle est une manière de penser les plaies du passé pour les recoudre au présent. Le mantra et titre du morceau évoquent la fatigue de la vie ou, pourtant, reste un message d’amour. Dans un dernier geste provient une élévation avec des chœurs et une batterie ou Gira pousse un élan vers l’avenir.

Avec Ebbing, la puissance spirituelle du groupe est à son apogée. Là où Swans nous avaient habitués à des ambiances particulièrement sombres, ce titre en est l’opposé par la grande montée en puissance, soutenu par le rythme cadencé des paroles. Une légère pause intervient puis s’enchainent batterie, chœur et basse formant une élévation musicale jusqu’au paradis.

Plus lugubre, Why Can’t I Have What I Want Any Time That I Want ? retranscrit les déboires personnels du chanteur avec l’alcool. L’atmosphère dépressive des chœurs et la voix mélancolique de Gira deviennent étrangement hypnotiques. Les guitares s’emballent sur la fin tout en gardant cette même lenteur maladive mais obsédante. Les sons, comme atteints d’une maladie, forment un morceau désespéré et souffrant.

WHERE DOES A BODY END ?

Habitué des morceaux monumentaux, le groupe remet le couvert avant son épilogue. Climax de l’album, ce titre est un collage sonore qui retourne dans le temps pour évoquer autant le passé, le présent que le futur du groupe. Pour les connaisseurs, The Beggar Lover (Three) est un tour de 43 minutes dans l’histoire des différentes incarnations de Swans. Pourtant, point de sonorités dépassées ou de visites muséales glacés, c’est encore l’expérience transcendantale que vise le groupe. 

D’une légère incompréhension jusqu’à la perte totale de sens, ce titre balance entre le sublime et le terrifiant. Sur la route se retrouve des passages d’anciens albums et même le fameux riff de The Beggar. D’une introduction majestueuse à l’écrasante anxiété des paysages sonores rencontrés dans Soundtrack for the blind, nous passons d’un état émotionnel à un autre. De l’admiration au dégout, de la peur à la colère, de la mélancolie à la transcendance. Il ne reste plus rien à part la sensation extatique de se retrouver face à une œuvre plus forte que soi, sensation inestimable au cœur des meilleures compositions du groupe. 

Après la monumentalité du précédent morceau, The Memorious développe un riff punk envoutant. Son rythme davantage rock que le reste de l’album trouve sa puissance dans la pulsation musicale qu’il contient. Avec ce dernier titre, une réelle énergie dévastatrice se transmet, loin d’être un adieu générique.

Si Swans reste un groupe touchant au spirituel, ils n’ont jamais été aussi proches de la dimension physique, corporel et même matériel de leur musique. En espérant qu’ils n’arrêtent pas après ce nouvel achèvement, The Beggar reste un album vivant et vivifiant. Un projet où l’on perd pied pour mieux nous confronter au réel de l’existence et de sa fin inévitable.

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The Beggar

par Swans

9.5
sur 10

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