Beaucoup les ont découverts lors de leur passage à l’Eurovision, mais Blind Channel ne sont pas des nouveaux venus sur la scène métal. Le quintet a lâché depuis déjà 8 ans sa « pop violente » sur les scènes finlandaises, au point de réussir à se faire sélectionner pour participer au plus gros concours de chant télévisuel d’Europe. Pop, un gros mot ? C’est ce que j’ai voulu savoir en rencontrant Joel Hokka, guitariste et second vocaliste du groupe.
PL : Moi, Mitä kuuluu ? [Salut, comment ça va ?] J’imagine que tu l’entends dans tous les accents depuis quelques temps
JH : Oui, on nous le dis souvent en ce moment, avec plus ou moins de succès (rires) !
PL : Ma première question est simple : quelle est la question que tu ne veux pas que je te pose ?
JH : Ah ouais, tu attaques directement les questions difficiles ! (rires) On a entendu beaucoup de questions dans le style « comment vous vous sentez » après l’Eurovision. C’est la question classique à laquelle j’ai l’impression qu’on a trop répondu. Mais bon, je pense que toutes les questions sont bonnes, donc ne te limite pas pour nous.
PL : On va essayer de ne pas te la poser alors ! Jouons au jeu des influences. J’ai entendu du Bring me the Horizon, Linkin Park, Justin Timberlake. J’ai bon ? Qu’est-ce que j’ai oublié ?
JH : C’est sûr qu’on a été fortement influencés par Bring Me The Horizon, Architects, I Prevail… tous les groupes de metalcore ont marqué notre musique. Mais nous avons aussi de fortes influences pop, Justin Timberlake comme tu l’as dit, et d’autres artistes de ce genre. En fait, on essaie vraiment de se créer un genre à nous, la « pop violente », qui est une sorte de mélange entre des musiques alternatives modernes et la musique pop actuelle. Donc dans l’ensemble, c’est plutôt bien vu !
PL : Donc vous essayez vraiment d’être le pont entre le metal et la pop ?
JH : On essaie avant tout de créer quelque chose de complètement nouveau. Si tu penses à ce qu’a fait Linkin Park il y a 20 ans, ils avaient des grosses guitares saturées, du rap, de la pop, et en ont fait un super mélange. C’est devenu le son rock des années 2000. On aimerait être la même chose pour les années 2020. On aimerait être le groupe de rock hybride de notre génération. Pour Blind Channel, l’Eurovision était un super point de départ pour entamer cette révolution et de manière mondiale, car on a eu accès à un public énorme qui écoute surtout de la pop. On est arrivés avec nos grosses guitares, nos screams, beaucoup de batterie, et ça a plutôt bien fonctionné, donc notre mission démarre bien.
PL : Comment s’est prise la décision de venir au concours : est-ce votre label qui vous y a poussé, ou vouliez-vous élargir votre audience ?
JH : Yle, la télévision publique finnoise – c’est la même chose que la BBC au Royaume-Uni, si tu veux – voulait emmener un groupe de rock à l’Eurovision, parce que ça avait très bien fonctionné pour Lordi. Ils voulaient recommencer, avoir de bons résultats, et montrer au monde la bonne musique qu’on a chez nous. Ils savaient qu’on écrivait un nouvelle album, et on a entendu des rumeurs qui disaient qu’ils aimeraient bien nous avoir dans le UNK, la sélection nationale finnoise. A ce-moment là, on était en pleine pandémie et on déprimait de ne pouvoir donner aucun concert. Du coup, on s’est dit : « Blind Channel à l’Eurovision ? Il faut prendre le risque, aller à la télévision et voir ce que ça donne« . Un mois plus tard, quand j’y repense, je réalise que oui, c’est génial, on s’est classés dans le top 10 et on a fait le 2e meilleur résultat de l’histoire de la Finlande, mais le risque pour nous était assez énorme. Je suis vraiment soulagé et heureux que ça ait aussi bien marché pour nous, car on aurait pu se rater complètement et se griller sur la scène rock et finlandaise.
PL: Vous vous êtes faits remarquer au-delà du petit monde de l’Eurovision. Avez-vous dû faire des concessions pour le show ?
JH : Déjà, Dark Side n’est pas un titre écrit spécifiquement pour le concours. On n’a pas eu besoin de la raccourcir car on a toujours écrit des chansons assez courtes, dans les 3 minutes. Ca vient de notre influence pop, du format radio, et on n’a jamais voulu écrire des pièces longues façon rock progressif, on cherche vraiment à écrire des hits rocks. Donc on avait une démo en mars 2020 qui était assez proche de la chanson telle qu’elle est maintenant. Et je me rappelle, en juillet 2020, quand on a entendu les rumeurs, on s’est posés la question d’écrire une chanson-concept pour l’occasion. Et on s’est dit : « putain, non, pas question, il faut qu’on reste nous-mêmes, et qu’on soit sélectionnés pour ce qu’on est ». Dark Side en ce sens est un condensé de ce qu’est Blind Channel et notre « violent pop » : il a des riffs pop assez forts, des voix graves, des grosses guitares, du hip-hop… On cherchait quelque chose qui nous représente vraiment, et on s’est dits que c’était la chanson parfaite.
PL : Même pour les paroles, pas de concessions ?
JH : On s’est plutôt sentis en sécurité en fait, d’avoir une chanson qui parle de doigts d’honneur et du Club des 27, tous ces termes un peu « chauds » pour l’Eurovision. On s’est dit que c’était si honnête que les gens allaient adorer – qu’on ne gagnerait pas mais qu’ils allaient quand même adorer. La chanson a fait un assez gros carton en dehors de l’Eurovision lui-même, tu as raison, et je sais que sans le concours on n’en serait pas là, alors on doit vraiment être reconnaissants de ce que ça nous a apporté. Putain, ça a marché !
PL : Justement, qu’est-ce que ça a changé pour vous, à part le fait qu’un petit média français vous interviewe ? Est-ce que votre changement de label est lié ?
JH : Si tu fais référence à notre deal avec Century Media et Sony Music, je dois dire que l’Eurovision a joué un rôle. On a eu une audience énorme, tout le monde nous a vus à la télévision, et le label a dû se dire qu’on avait une chance d’exploser rapidement. C’était assez malin de leur part de nous prendre sous leur aile. C’est une bonne chose pour eux, c’est sûr, mais pour nous aussi, car Century Media est un des gros label de la scène alternative, ils la connaissent bien, et avoir Sony Music par-dessus, ça nous donne accès à un label pop énorme. Donc on a accès au marché pop, sans risquer de se faire jeter si on ne fait pas un autre hit pop, ce qui nous sécurise beaucoup pour l’avenir.
PL : Le public de Blind Channel à l’Eurovision n’était pas aussi énorme que d’habitude à cause des restrictions liées à la Covid-19. Est-ce que vous aviez déjà joué devant une foule aussi grande, et vous attendez-vous à avoir accès à des audiences similaires, maintenant que la pression de la pandémie redescend un peu ?
JH : Oui, c’était assez fou de voir qu’il y avait plus de 3000 personnes qui criaient les paroles de Dark Side, nuit après nuit aux répétitions et lors du show en live. Chaque fois qu’on rentrait en scène et qu’on se mettait à jouer, qu’on entendait le public chanter le refrain, avec les effets pyrotechniques, les lumières, je me disais : « Wow, alors c’est ça que ça fait d’être Bon Jovi ou Chester Bennington, d’être une rock star mondiale qui joue dans un stade pour un public qui connait tes paroles ! » Je dois admettre que ce sentiment, c’est ce qu’il y a de mieux au monde. Il n’y a aucune drogue, aucun partie de sexe qui égale ça. On a déjà fait des gros concerts, et il y avait toujours une centaine de personnes qui connaissaient nos paroles, mais là, tu avais des milliers de personnes qui hurlaient « Living that life on the dark side« , je les entendais malgré les retours et les oreillettes, qui criaient tellement fort, putain, c’était fou. Et là je me suis vraiment dit « Ouais, c’est ça que je veux faire« .
PL : Vous écrivez vos chansons pour pouvoir les partager avec le public et qu’il chante avec vous. Est-ce que avoir vécu ça, va faire évoluer votre manière d’écrire ?
JH : Je ne pense pas, non. Comme on n’a pas fait de compromis, les gens ont réagi à notre musique telle qu’elle est. Certains ont dit que nos paroles, « Club des 27« , « Tir à la tête« , « doigt d’honneur« , sont trop dures pour la compétition. Mais on s’est dit : on vous emmerde ! On ne va pas changer qui on est pour vous. Et je pense que ça a été la clé de notre succès, et ça le restera pour la suite. Les singles qui suivront Dark Side auront des mélodies pop, mais il y aura encore des guitares, des batteries, des screams… On a beau avoir classé Dark Side numéro 1 en Finlande et dans le top 10 de 20 pays, Blind Channel ne changera pas après l’Eurovision, au contraire. Regarde les gros groupes, comme Slipknot ou Bring Me The Horizon. Est-ce qu’ils ont changé ? Leur musique, un peu, parce que les gens s’attendent à ce qu’ils fassent quelque chose, mais ils sont toujours restés à ce qu’ils avaient envie de faire, eux.
PL: Depuis la France, on a l’impression que 90% des groupes de musique en Finlande sont des groupes de metal. En quoi votre musique se différencie des autres ?
JH : Si tu repenses à la scène des années 2000 : Nightwish, HIM, The Rasmus, ils avaient un son finlandais assez marqué, des accents mélancoliques… Comparé à notre musique, au-delà du fait que c’était il y a 15-20 ans, nous avons une influence pop et hip-hop assez forte, et peu de personnes en Finlande font du rap ou du hip-hop en anglais. Je ne sais pas pourquoi, car la scène rap est assez grosse en Finlande, mais tout le monde le fait en finnois. Il y a des centaines de rappeurs en Finlande qui pourraient percer à l’internationale, mais qui ne le font pas. Donc c’est peut-être ça qui nous distingue. Mais je tiens vraiment à rendre hommage à tous ces groupes géniaux qui ont rendu possible que la musique finlandaise s’exporte. Comme Blind Channel à l’Eurovision, Lordi a rendu la Finlande populaire. Et ce qu’ont fait des Ville Valo ou HIM aux Etats-Unis nous aide maintenant, car quand on essaie d’avoir un passage radio ou un festival, ils ne nous regardent pas en se disant : « C’est quoi la Finlande, c’est qui ces rigolos ? »
PL: Tu aimes les jeux ?
JH : Oui, j’aime bien, pourquoi ?
PL : Alors je te propose de faire une anti-interview. Commençons simplement. C’est quoi le groupe le plus éloigné de votre style ?
JH : Hmm, c’est dur comme question ça ! Je dirais un groupe des années 70, un groupe de rock progressif. Je n’ai pas de noms qui vienne en tête, à part Led Zeppelin qui sont iconiques de cette période. The Who, peut-être ? En tout cas, un truc rock progressif des années 70.
PL : Donne-moi une raison de ne PAS venir vous voir en concert ?
JH : Mais c’est quoi tes questions (rires) ? Attends voir… sans doute que tu ne viendras pas parce qu’il y a plein d’adolescentes qui crient à nos concerts et que tes oreilles vont saigner (rires).
PL : Quel est le plus gros défaut de votre dernier album ?
JH : Je dirais que sur Died enough for you, les snares sont trop forts. Je pense que pour le public, c’est très bien, mais quand je l’écoute je n’entends que ça, c’est trop fort, ça ressort et ça me rend fou.
PL : Quel groupe avez-vous copié honteusement ?
JH : dff(rires) Limp Bizkit ! Il y a une de leurs chansons dans laquelle Fred Durst chante « Come and get it », et on a exactement la même chose dans Over my dead body, mais c’est complètement voulu, on a voulu « copier » son gimmick.
PL : Plutôt sauna ou hammam ?
JH : Sauna, je suis finlandais tu sais.
PL : Plutôt lac gelé ou océan arctique ?
JH : Océan, définitivement. Je viens de me faire tatouer sur le bras, juste avant qu’on se parle, une femme qui se noie dans l’océan. Ca va être une manchette complète, j’ai hâte !
PL : Plus sérieusement, quel est le prochain défi que vous devez relever ?
JH : J’espère vraiment qu’on va pouvoir faire un tournée européenne début 2022. On a déjà des plans prévus, mais bien sûr c’est si la Covid-19 nous laisse le faire. Nous avons des milliers de fans en Europe, et ça me fait de la peine de ne pas pouvoir jouer pour eux. Donc vraiment, j’espère qu’on pourra faire cette tournée.
PL : Si tu pouvais jouer dans les festivals que tu veux, où irais-tu jouer ?
JH : Le Download Festival UK, le Rock Am Ring, et le Hellfest. D’ailleurs on a vu qu’il reste des places sur l’affiche, on peut toujours rêver ! En plus Nine Inch Nails y joue cette année, et je suis un très, très gros fan. Si j’arrive à faire une photo avec Trent Reznor, je peux mourir après !
PL : J’espère que je ne t’ai pas traumatisé avec mes questions. Pour finir, quel groupe conseillerais-tu à Pozzo Live d’écouter et d’interviewer après toi ?
JH : Hmm, c’est une question difficile encore ! La plupart des gens connaissent I prevail mais je te dirais quand même d’aller les ré-écouter. Si j’essaie d’éviter les gros et de te trouver quelque chose d’unique et de cool, je te dirais Shiraz Lane (comme le vin), Lost Society. Ce sont des groupes qui ont émergé en même temps que nous, ils sont vraiment cool, ça serait bien que tu t’intéresses à ce qu’ils font.
PL : Kiitos, moi moi [Merci, à plus] !
Un grand merci à Joel Hokka pour son temps, et à Replica Promotion qui a organisé cette interview « Blind Channel Eurovision ». Violent Pop, le dernier album de Blind Channel, est disponible à la vente et sur les plates-formes de streaming comme Spotify.