Il est de ces groupes qui vous touchent dès la première écoute, et qui se retrouvent immédiatement propulsés dans votre classement des meilleurs groupes jamais formés. Dans mon cas, Caligula’s Horse en fait partie. Avec quatre albums à son actif et des tournées avec les grands noms du metal progressif tels que Pain of Salvation, Opeth, Mastodon ou encore Ne Obliviscaris, ces australiens n’en sont plus à leur coup d’essai. Ils sortiront leur nouvel album Rise Radiant, le 22 mai, que vous pouvez d’ores et déjà pré-commander sur leur site officiel.
À cette occasion, j’ai eu la chance de pouvoir interviewer Jim Grey, le vocaliste et fondateur de Caligula’s Horse.
PL : Tout d’abord, peux-tu présenter le groupe pour nos lecteurs qui ne vous connaissent pas ?
JG : Nous sommes Caligula’s Horse, de Brisbane en Australie. Nous avons créé le groupe en 2011 et allons sortir notre cinquième album Rise Radiant. Nous sommes un groupe de metal progressif qui aime mettre de la couleur dans ses musiques : nous essayons toujours de transmettre un message positif.
PL : J’allais justement te demander si vous vous considériez comme un groupe de metal progressif .Il semblerait que oui !
JG : Oui ! Je pense que nous ne l’avons jamais caché, surtout au début lorsque nous voulions intégrer des sonorités plus claires. Nous naviguons entre une musique progressive et alternative, avec cet aspect metal auquel nous faisons attention. Mais je pense que le mieux est que chacun se fasse sa propre opinion sur la catégorie à laquelle nous appartenons.
PL : Quels sont les groupes qui vous ont inspiré lors de la création de Caligula’s Horse ?
JG : En 2011, je dirais Deerhunter [groupe de rock expérimental américain], et plus particulièrement leur troisième album Act III: Life and Death que j’aime énormément. Il a eu une très grosse influence sur moi principalement, puis sur Sam aussi lorsque nous avons commencé à composer nos musiques. Il y a eu aussi beaucoup d’autres artistes « progressifs » ; personnellement j’aime beaucoup les voix féminines !
PL : À propos de voix, tu es l’un de mes chanteurs favoris, et ce même depuis le premier album, Moments from Ephemeral City. Comment t’entraînes-tu ? Prends-tu des cours ?
JG : Mon histoire est très longue ! Je chante depuis que j’ai 9 ans. Je me faisais de l’argent de poche et j’ai pu payer mes études en chantant dans une chorale, et j’ai continué à l’université en étudiant le chant classique et le chant jazz. J’ai commencé à écrire de la musique vers 15-16 ans et je n’ai jamais vraiment arrêté de chanter depuis. Donc mon entraînement a été assez complet et j’ai eu beaucoup d’expérience pour développer mon chant. Je faisais beaucoup d’erreurs mais un professeur de chant, qui est aussi mon ami, m’a aidé à les corriger. Si tu te posais la question quant au fait de prendre des cours pour chanter, je dirais qu’il faut surtout pratiquer quotidiennement pour pouvoir développer sa voix. C’est un travail constant pour améliorer ce qui ne convient pas.
PL : Concernant Rise Radiant, comment avez-vous procédé dans la création de l’album ?
JG : C’était quelque chose d’intéressant. Nous avons commencé à écrire avant notre tournée européenne en 2018, puis sur la route. Par la suite, nous avons été très occupés : Sam avait ses enfants et son doctorat à terminer. On est tous retourné à une vie normale, donc le processus de création a un peu ralenti à ce moment-là.
Au départ, Sam et moi nous occupions de la création de la musique. Nous avons une relation de travail depuis 9 ans maintenant, et c’est très dur mais aussi très amusant ! Mais la différence sur cet album a été les autres membres du groupe. Même Dale qui est le membre le plus récent a participé. Chacun a apporté une vision différente de la musique et j’espère que cela continuera par la suite.
PL : Dave Couper a quitté le groupe en décembre 2018 à cause de problèmes de santé. Il faisait partie de Caligula’s Horse depuis le premier album. Est-ce qu’avoir un nouveau membre a changé votre façon de composer ?
JG : Dave n’a jamais vraiment participé à l’écriture des albums. Il travaillait principalement sur ses propres projets. De ce fait, la seule chose que son départ a changé dans notre façon de travailler est sa manière de jouer et l’approche qu’il avait de la musique. Lorsque nous composions, nous savions ce dont Dave était capable. De la même façon que nous connaissons le jeu de Josh [le batteur du groupe], et nous composons de cette façon : en sachant comment joue chacun des membres. Et même si certaines compositions sont parfois difficiles, chacun d’entre eux va travailler pour être au niveau.
Donc oui le départ de Dave a changé quelque chose, mais seulement au niveau du style de jeu entre Dale et lui. Nous connaissons Dale depuis le début, lui et moi étudions à l’université ensemble et sans faire partie de Caligula’s Horse officiellement, il y était quand même investi.
PL : Vous avez toujours des pochettes très détaillées et colorées. Avez-vous systématiquement en tête une idée précise de ce que vous voulez ? Quel est le degré de liberté du designer ?
JG : Nous avons tendance à faire confiance à l’artiste. Je ne sais pas du tout dessiner, je ne sais faire que des bonshommes bâtons ! Donc quand nous avons un album et son contenu, nous transmettons les paroles, les musiques et les thèmes abordés à l’artiste. Pour Rise Radiant, c’est Chris Stevenson-Mangos, qui s’était déjà occupé de la pochette de Bloom. J’adore ce qu’il fait, j’ai même une peinture à lui chez moi ! Bref, lorsque j’ai demandé à Chris de faire l’artwork pour Rise Radiant, je lui ai donné les informations sur l’album et lorsqu’il m’a montré son travail, je suis resté sans voix. C’était quelque chose de très parlant et beau et ça ne ressemblait à rien que j’aurais pu imaginer. La raison pour laquelle nous choisissons de bons artistes et que l’on n’a pas à dire précisément ce que l’on attend. Nos idées sont retranscrites de la façon dont eux les ressentent.
Pour In Contact par exemple, Connor Maguire a fait cette pochette incroyable ; nous adorons son style. Nous lui avons donné les informations quant à l’album, et de la même manière, il a créé quelque chose que je n’aurais jamais imaginé ! C’est comme pour les tatoueurs. Je vais voir des artistes en qui j’ai confiance et je les laisse me surprendre.
PL : Quels sont les thèmes abordés par Rise Radiant?
JG : Le thème principal concerne le fait de se surpasser. Si tu regardes la pochette de l’album, tu vois ce cerf, cette créature majestueuse représentant la force. Il se tient là, minuscule devant cette montagne gigantesque. Il y a cette idée d’un voyage, de traverser quelque chose qui paraît insurmontable. Tomber et se relever pour aller de l’avant.
PL : On peut dire qu’il traite de la confiance en soi ?
JG : Tout à fait. La confiance en soi, et en les autres. Suivre ses idées et se dépasser. La chanson Salt par exemple est le reflet d’un moment de ma vie où j’étais très mal. À ce moment j’ai eu beaucoup de pensées suicidaires, et ce titre traite de cela, mais je ne voulais pas d’un morceau qui paraisse triste et désespéré. Je voulais traiter en détail ce sentiment. Accepter ses faiblesses et les combattre grâce à nos forces, c’est ce dont traite Rise Radiant.
PL : En écoutant votre album, j’ai retrouvé comme un condensé de tout ce que vous aviez pu proposer musicalement jusqu’à présent. Par exemple, Slow Violence aurait eu sa place sur Moments from Ephemeral City, Oceanrise sur The Tide, the Thief & River’s End, Autumn sur Bloom et The Ascent sur In Contact. D’ailleurs, ces titres suivent la même chronologie que les albums auxquels je les aurais rattachés. Était-ce quelque chose de volontaire ?
JG : C’est intéressant ! On ne m’avait jamais fait cette comparaison, c’est incroyable. En fait non : lorsque Sam décrit Rise Radiant, il explique que c’est un album que nous essayons de construire depuis des années. C’est un condensé de toutes les choses que nous avons aimées, que nous avons surmontées. Il montre notre évolution, la combinaison de notre travail au fil du temps. Donc en un sens je pense que tu as parfaitement raison. Les chansons existent sur cet album grâce aux choses que nous avons apprises de nos albums précédents donc… oui c’est intéressant, je n’avais jamais entendu ça auparavant ! Je vais réécouter tout ça en me demandant « A-t-il raison ? Est-il fou ? Je ne sais pas ! » rires. C’est une bonne théorie !
PL : Lors de mes premières écoutes, j’ai trouvé Rise Radiant plus djent. Néanmoins j’ai tellement écouté l’album que je n’en suis plus si sûr. Qu’en penses-tu ?
JG : C’est curieux, beaucoup de personnes utilisent ce terme lorsqu’il s’agit de parler de quelque chose de groovy ou un peu saccadé. Je suppose qu’il y a de ces éléments dans notre musique, mais ce jeu de guitares saccadé existait avant le terme djent. Je ne pense pas que nous appartenions à cette catégorie. Pour moi ce terme a quelque chose de péjoratif. Je veux dire, à mon sens une musique qui serait uniquement groovy du début à la fin appartiendrait à la catégorie djent. Dire que nous utilisons quelques éléments de ce genre, bien sûr. Néanmoins je pense qu’il y a suffisamment de variété dans notre musique pour que ce terme ne s’applique pas. Mais je comprends ce que tu veux dire : nous avons des parties heavy, groovy, et avec de gros riffs, mais je ne pense pas que cela représente Rise Radiant.
PL : C’est une période difficile pour l’Australie, entre les incendies et maintenant le virus. Comment utilises-tu ton temps durant cette période de « quarantaine » [l’Australie n’impose pas de confinement, mais limite fortement les rassemblements] ? Travailles-tu déjà à la création de nouveaux morceaux, ou te concentres-tu plutôt sur la sortie de l’album ?
JG : J’adore cette question ! C’est assez drôle car en définitive, je me retrouve avec moins de temps maintenant ! Les écoles sont fermées donc je dois m’occuper entièrement de ma fille et de mon fils en leur faisant l’école à la maison. C’est presque un cauchemar. Rires Ce n’est pas une bonne situation, mais elle est nécessaire. J’ai donc moins de temps libre, et honnêtement, je ne me sens pas créatif en ce moment. Je suis enfermé chez moi et je ne peux pas voir le reste de ma famille. Je suis quelqu’un d’extraverti, j’ai besoin de contact social pour avoir des pensées positives et être heureux.
Donc les choses sont difficiles actuellement, mais finalement heureusement que je dois m’occuper de mes enfants. Je ne me concentre que sur Rise Radiant pour le groupe, et j’espère que les choses iront mieux rapidement.
PL : Votre dernier album In Contact vous a permis à Caligula’s Horse d’atteindre un plus large public. Cela a-t-il vraiment changé quelque chose pour vous ? Peut-être dans votre façon d’aborder la musique ?
JG : Cette expérience a définitivement changé la façon dont nous voyons les choses. C’était fou et très étrange. Je pense que l’attente des gens après Bloom nous a aidé à avoir une attitude positive. Beaucoup de gens ont aimé notre musique et c’était bien ! Mais une chose intéressante pour moi a été de voir notre nombre d’auditeurs continuer de croître pendant les trois années qui ont suivies In Contact. Nous pouvons voir combien de personnes nous écoutent grâce à la musique en streaming. En général, on voit apparaître un pic d’écoute à un moment, qui finit par chuter. Il est apparu que ce pic est rapidement remonté par la suite. Les gens se sont passés le mot et ont très bien accueilli notre musique, ce qui m’a beaucoup touché.
Pour autant, nous ne cherchons pas à répondre aux attentes de notre public lorsque nous composons. Je veux dire, ce n’est pas parce que nous voyons que quelque chose a fonctionné avec In Contact par exemple, que nous allons l’utiliser à nouveau. Nous avons notre propre vision de la musique, et nous ne sommes pas restreints par notre label. Inside Out ne juge pas si nous devons placer un single ou non, ils nous laissent totalement libres.
PL : Dans In Contact, il y avait ce titre très surprenant : Inertia and the Weapon of the Wall. Je me demandais si vous alliez proposer à nouveau quelque chose de ce genre pour Rise Radiant, ce qui n’est pas le cas. Aimeriez-vous malgré tout faire à nouveau un titre dans ce style par la suite ?
JG : Je dirais que non, même si je ne peux pas dire comment sera notre album suivant. Mais je pense que si nous avions décidé de faire une fois de plus ce type de morceau, cela aurait semblé… « abusif ». Je suis très fier d’Inertia, même s’il a un peu divisé les gens. Certains l’ont détesté, et je n’avais pas pensé à comment ce titre pourrait être reçu par des non-anglophones.
J’aime beaucoup ce titre car à l’époque je voulais expérimenter le langage parlé dans une de nos chansons, et cela collait parfaitement à In Contact puisque l’on retrouve Inertia dans la partie de l’album relative au Poète. J’ajouterai que la nature des paroles de Rise Radiant a été très influencée par la nature et le rythme du langage parlé.
PL : Tu fais partie du groupe depuis sa création, puisque tu l’as créé avec Sam. Si tu devais dire quelques mots à propos de l’évolution de Caligula’s Horse, quels seraient-ils ?
JG : « The road toward patience » pour ma part. Contrairement à Sam, je suis quelqu’un d’impatient. Je me souviens qu’au début, nous étions souvent en conflit lorsque nous écrivions. Nous étions tous deux très attachés à nos idées et avions du mal à négocier. Aujourd’hui, notre expérience permet à chacun de comprendre l’autre, de savoir que nous sommes du même côté et de nous exprimer de la façon la plus honnête possible. Donc lorsque l’un de nous est en désaccord avec la vision de l’autre, il est plus facile de mettre en avant nos sentiments.
PL : Comme un couple ?
JG : Exactement ! Comme un jeune couple tout à fait. Mais nous savons ce que nous faisons, nous savons que nous sommes du même côté et il est facile d’avancer. Cela m’apporte beaucoup de joie. Donc cette « route vers la patience » a apporté beaucoup de paix dans ma vie et m’a appris beaucoup.
PL : En quelques mots, que dirais-tu pour donner envie aux gens d’écouter Rise Radiant ?
JG : Eh bien… c’est la meilleure chose que nous ayons faite avec Caligula’s Horse ! C’est ce que je dirais à quelqu’un, à un vieil ami par exemple. Rise Radiant est un album honnête, plein d’émotions, énergique, vrai… la meilleure chose que j’ai faite.
PL : Dernière question que nous posons systématiquement à Pozzo Live : qui aimerais-tu que l’on interviewe ensuite ?
JG : J’ai deux options pour toi. Il y a un groupe australien appelé Dyssidia qui vient de sortir un nouvel album, Costly Signals. Nous avons fait des tournées avec eux en Australie et ce sont de bons amis. Ils sont incroyables et je te conseille d’écouter.
Le deuxième serait un trio de rock progressif anglais appelé Exploring Birdsong. Nous avons enregistré deux reprises en tant que titres bonus de Rise Radiant, et sur l’une d’elle nous avons pour invitée Linsey Ward, la chanteuse du groupe. Je suis absolument fan de sa voix, ils sont incroyables et là aussi je te conseille d’écouter leur EP The Thing with Feathers.
Un immense merci à Inside Out Music, à Caligula’s Horse et tout particulièrement à Jim Grey pour cette interview !
Si Rise Radiant vous intéresse mais que vous hésitez, foncez lire notre chronique pour vous aider à vous décider !