Herr Morbid, la tête pensante du groupe italien Forgotten Tomb nous a fait le plaisir de répondre à nos questions en plein confinement à l’occasion de la sortie de leur nouvel album Nihilistic Estrangement, à paraître le 8 Mai, qui marque ainsi un tournant dans la carrière de la formation.
Comment te sens-tu dans cette période de confinement ? L’Italie est, avec la France et l’Espagne, l’un des pays les plus touché par le coronavirus. Penses-tu que la distanciation sociale est le meilleur moyen pour créer ?
Actuellement je suis à la maison depuis 2 mois, je ne suis juste sorti que quelques fois pour envoyer des colis de merchandising et pour faire des courses. Je suis tombé malade début mars à cause du virus, j’ai eu de la fièvre pendant 4 jours, des congestions nasales, des maux de têtes, mais finalement des symptômes assez limités ; j’ai également perdu l’odorat, mais il vient juste de revenir. Ma ville est une des plus touchées en Italie ; beaucoup de personnes sont mortes et de nombreuses restrictions sévères ont été imposées aux gens. Personnellement, ma vie n’a pas changé tant que ça, parce que, pour être honnête, je n’ai pas l’habitude de sortir beaucoup, ou peut-être quelques fois dans la semaine pour boire un coup au bar, mais je passe de toute façon beaucoup de temps chez moi. Par chance, j’ai un jardin, et maintenant que les beaux jours reviennent, je peux me détendre dehors et faire des barbecues. Ce qui m’emmerde c’est d’aller faire les courses et expédier des colis, parce que je dois poireauter dans les files d’attentes. Quand je peux je commande sur internet mais les livraisons sont retardées et tu dois attendre longtemps avant d’obtenir tes trucs. Maintenant il semble que le confinement commence à être levé mais les choses ne sont pas prêtes de revenir à la normale. Quoiqu’il en soit je passe la plupart de mon temps chez moi à m’occuper de la promotion du nouvel album, à enregistrer quelques démos de nouveaux morceaux et de nouveaux projets, à écouter beaucoup de musique et à regarder une tonne de films. Certainement le fait d’être isolé t’aide à écrire de la musique, mais en général je m’isole moi-même donc la distanciation sociale n’est pas une très grande différence pour moi, excepté peut-être le fait d’être plus concentré depuis qu’il y a moins de distractions du monde extérieur, comme des amis qui te demandent de sortir.
« Nihilistic Estrangement » sort le 8 mai. Es-tu stressé ou confiant quant à la réaction des fans ?
Les premières reviews viennent juste d’être publiées, et comme d’habitude, certains journalistes aiment, et d’autres n’aiment pas, mais nous n’en sommes pas surpris. Le fans sont les seuls qui décident de ce qui est réussi ou pas. J’espère bien sûr qu’ils l’apprécient, mais je suis confiant de la grande qualité de notre album. Les gens sont durs à satisfaire donc à chaque nouvelle sortie il y a toujours quelqu’un qui se plaint. Mais je pense que comparé à l’album précédent, les fans mettront moins de temps à se l’approprier grâce à son côté plus black metal. Nous verrons ce qu’il se passera mais nous ne sommes pas inquiets. Quand tu fais du bon boulot tu ne l’es jamais.
Ce nouvel album est plus atmosphérique et lent que « We Owe You Nothing » et « Hurt Yourself And The Ones You Love ». Pourquoi ce changement ?
« Nihilistic Estrangement » introduit notre 4ème trilogie d’albums, donc j’ai voulu faire quelque chose qui sonne différemment de la trilogie précédente, laquelle était particulièrement lourde avec plus d’influences sludge. Ce nouvel album est toujours aussi lourd mais j’ai apporté plus d’éléments black metal et plus de teintes atmosphériques au son. Je laisse l’inspiration me guider lors du processus de composition et cela dépend de ce que je fais à ce moment précis de ma vie. J’aime également explorer une niche musicale relativement peu explorée, donc j’essaie souvent de mélanger des idées d’horizons différents afin de trouver un son plus neuf que les albums précédents et qui se démarque des autres groupes. J’aime préserver notre son caractéristique et en même temps rester unique. Je suis heureux quand j’entend quelqu’un dire que nous ne sonnons pas comme n’importe quel autre groupe, mais comme Forgotten Tomb. Je pense que l’album rassemble des éléments des sorties précédentes, avec un côté plus black metal que We Owe You Nothing, en plus d’influences peu communes comme le rock sudiste, le hard rock et le blues. Lesquelles ont pris part à notre son depuis Negative Megalomania, mais plus distinctives ici, en particulier grâce à la production plus éthérée. Nous avons utilisé des guitares slide et des plans bluesy, mais aussi des guitares solos doublées, des pédales de delay qui rappellent les sonorités dark wave des années 80, comme sur le titre éponyme. Il y a aussi un morceau rapide et hypnotique qui sonne très old school. C’est un album varié sachant qu’il n’y a que 6 titres, mais qui reste pourtant très cohérent. J’aime l’assimiler à du black rock, car il est partagé entre black metal et black’n’roll ou même pourquoi pas blues black ? Je ne sais pas si cela a beaucoup de sens mais c’est certainement différent de ce qui se fait dans le metal de nos jours. Au fond ça n’a rien à voir avec le metal des années 2000 ou la musique rock.
Comment s’est déroulé le processus de création pour Nihilistic Estrangement ? Nous savons que « We Owe You Nothing » a été difficile à enregistrer…
Les sessions d’enregistrement de We Owe You Nothing ont été difficiles : j’étais entre la vie et la mort suite à une accident de voiture juste après les premiers jours d’enregistrements, et j’ai été hospitalisé. En conséquence, j’ai été incapable de jouer correctement pendant plusieurs mois, et ai dû attendre 5 mois avant de reprendre l’enregistrement de mes parties guitares et du chant. Cette fois-ci les sessions d’enregistrement ont été beaucoup plus sereines. A propos du processus de création, j’ai écris Nihilistic Estrangement peu après We Owe You Nothing. Maintenant que tout cela est fini, je me sens très inspiré, comme si nous commencions une nouvelle ère après ce dernier album. J’ai réalisé que je rendais mes phases de compositions trop compliquées ces dernières années, donc j’ai simplifié un peu les choses et me suis concentré uniquement sur le fait d’écrire de bonnes chansons, comme les vieux groupes de rock avaient l’habitude de faire. Cet état d’esprit me bénéficie grandement, et j’ai décidé de faire la paix avec mon propre processus de création. C’est important pour moi de rester original en étant fidèle à notre son, parce que j’ai l’impression d’avoir été, dans un passé proche, trop occupé à respecter une étiquette dans une certaine mesure. Cette fois j’ai décidé de dire merde à tout le monde, aux attentes des fans, ou à celles des membres du groupe, et j’ai laissé les sonorités venir jusqu’à moi, sans y faire trop attention. J’ai fait une démo de la plupart des titres en 2 semaines, je l’ai fait écouter aux membres du groupe et ils m’ont affirmé que c’était les meilleures chansons que j’avais écrites depuis des années. J’ai ainsi su que j’avais fait les bons choix. Nous avons fait 3 répétitions puis nous sommes allés directement en studio. J’ai écris les paroles dans la foulée.
L’artwork est très beau et m’a vraiment surpris. Qui l’a réalisé ? Et pourquoi l’avoir choisi ?
L’idée pour la pochette vient d’un rêve récurrent que j’ai fait ; la peinture opte pour un point de vue en perspective, dans ce rêve je marchais sur un sentier entouré par ces gigantesques chutes d’eau, avec de l’eau s’élevant sous mes pieds, pendant que je vois au loin ce monde sauvage et hostile dépourvue de toute civilisation humaine. J’ai fourni une esquisse à Paolo et lui ai expliqué mon rêve et il est revenu avec une peinture, qui est superbe. Nous voulions une pochette dans la même veine que certains albums du début des années 90, que tu voudrais acheter juste pour leur atrwork incroyable, comme celles de Dan Seagrave, Kristian Wahlin ou Andreas Marschall. Nous avons en Italie un artiste très talentueux tel que Paolo, qui jouit d’une excellente visibilité à l’international, donc pas de raison de faire appel à quelqu’un d’autre. Il travaille très rapidement, sans fioritures, et donc nous nous entendons bien.
De quoi traitent les titres « Iris’ House pt. I » et « pt. II » ?
« Iris House » (pt. I & II) est un mini-concept autour du cancer ou d’une phase terminale liée à une maladie ; la première partie raconte les derniers mois qu’il te reste à vivre, la deuxième décrit les derniers jours de vie dans un lit d’hôpital avant que tu ne meures. Tout cela est inspiré de personnes que j’ai connu qui sont tombées malades ou sont mortes. Le titre provient du nom d’un hôpital proche de là où je vis.
Vous êtes encore chez Agonia Records, comment se passe votre relation avec eux ?
Oui c’est exact, comme dans chaque relation groupe-label, nous sommes parfois en désaccord sur certaines choses mais je suppose que c’est la norme. Ce nouvel album est techniquement le dernier que nous leur devons dans ledit contrat, donc nous verrons ce qu’il se passera par la suite.
Forgotten Tomb est un des plus gros noms de la scène DSBM, et a vraiment forgé ce style de musique, écoutes-tu encore maintenant du Depressive Black Metal, et quelle est ton opinion sur la scène actuelle ?
Je n’écoute pas ce que les gens appellent « DSBM ». Quand j’ai enregistré Songs To Leave en 2000/2001 je voulais un son plus personnel et atmosphérique. Également, j’ai voulu un black metal plus dangereux et troublant encore. Personne ne jouait ce mélange de black metal, de doom extrême et de dark wave auparavant, donc j’ai trouvé cela intéressant à expérimenter. J’ai ainsi innové à partir d’un nombre réduit d’influences. Le mot « depressive » n’existait pas vraiment auparavant et personne n’explorait les thèmes que j’utilisais dans mes paroles, ou abordait l’image que je dépeignais. C’était assez peu orthodoxe à l’époque. Le terme « DSBM » n’existait pas non plus et je n’aurai jamais pu imaginer que cela devienne un genre en soit, et que des milliers de groupes imitent mon son, mes paroles ou mon image. Dans un sens, c’est assez flatteur, mais d’un autre côté quand quelque chose devient une mode, cela perd de son charme, puis devient « cliché », à la limite du parodique. C’est ce qui s’est passé pour le DSBM au fil des années ; ce n’était juste pas censé devenir un sous-genre à part entière.
Beaucoup d’artistes partagent leur playlist avec leurs fans en ce moment, qu’est-ce que tu écoutes lorsque tu es seul ?
Oh, cela dépend des jours, mais la plupart du temps du hard rock et du metal mais parfois du rap/hip-hop, de la synth-pop, du R&B, du blues ou encore des bandes originales de films. En ce qui concerne le metal, j’aime surtout des vieux trucs d’avant 2004, particulièrement des choses des années 90/95, comme du death metal, du black metal ou du sludge. Mais également du punk/hardcore, du crust… J’aime aussi la dark wave des années 80 et beaucoup de classiques du hard rock et rock sudiste des 70’s/80’s.
Comment vois-tu Forgotten Tomb dans quelques années ?
C’est difficile à dire, cela dépendra beaucoup de comment notre environnement musical va changer. Je ne suis pas un fan des nouvelles technologies, le streaming, le digital etc. J’essaie de rester à la page avec tout ça car nous y sommes forcés en tant que groupe, mais le temps d’avant me manque beaucoup quand tout était plus simple. De plus, je suppose que tant que nous avons un public pour acheter nos CDs et venir à nos concerts, nous continuerons à jouer et à enregistrer des albums. Pour ce qui est du style, nous continuerons à suivre notre marque de fabrique avec quelques changements à chaque album, comme nous l’avons toujours fait.
Avons-nous une chance de voir Forgotten Tomb en concert en France et en Europe l’an prochain ?
J’espère que oui. Si nous sommes autorisés à jouer cet automne, nous serons une des têtes d’affiche du Cosmic Void Festival à Londres et puis nous devrions tourner en Europe en octobre, avec en plus un set spécial pour l’album Songs To leave en Allemagne. Les choses dans le domaine du divertissement live ne semble pas bonnes pour 2020, je ne suis pas sûr que tout ça ait lieu, mais nous essaierons tant que possible. L’année prochaine nous tournerons sans aucun doute en Europe et aux USA, comme cela était déjà prévu pour 2020, car nous avions dû reporter les 2 tournées.
Quel groupe ou artiste Pozzo Live devrait interviewer la prochaine fois ?
Je n’en ai aucune idée. Eyehategod ? C’est l’un de mes groupes préféré.
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