C’est à 10h du matin à peine que nous avons rejoint Eesah Yasuke, heure à laquelle le Printemps de Bourges se réveillait à peine. Nous avons discuté autour d’un café et avons abordé des sujets tels que le destin, la résilience, le racisme et son entourage. Retour sur notre discussion avec la jeune rappeuse.
Pour ceux qui ne te connaissent pas encore, peux-tu te présenter ?
Moi c’est Eesah Yasuke, je suis une artiste rap. Et c’est assez nouveau pour moi cette vie d’artiste parce que j’ai sorti mon premier projet en 2021. C’était mon premier EP « Cadavre Exquis » et depuis je vis de ma musique.
Tu étais déjà l’an dernier où tu as reçu le prix des iNOUïS. Te voilà de retour, non seulement pour une création avec Oxmo Puccino mais aussi pour ton propre concert. Qu’est-ce ce qui a évolué intérieurement depuis ce temps ? Et comment tu te sens par rapport à cette reconnaissance grandissante ?
Effectivement, être conviée par un monument du rap comme Oxmo, c’est vrai que c’est une certaine validation qui n’est pas des plus moindres. Je me sens honorée et très touchée qu’il soit lui-même impacté par mon art. Parce que c’est un choix et moi je fais partie de ses choix. Et ça me touche beaucoup, forcément en tant qu’artiste et en tant que rookie dans ce game.
Intérieurement, je pense que je gagne des points d’ancrage. Je comprends que c’est ma place. C’est d’ailleurs pour cette raison que mon prochain EP s’appelle PROPHÉTIE. Parce que je me rends compte qu’il y avait quelque chose qui était écrit et qui se réalise. L’EP sortira le 30 mai.
Comment as-tu été amenée à participer à la création DÉSIR(S) ? Tout est parti d’un DM d’Oxmo Puccino c’est bien ça ?
Mais ouais, incroyable ! Oxmo m’envoie un message, il me dit qu’il a un projet sur lequel il aimerait me convier. On dit oui ! On sait pas dans quoi on va, on dit oui ! Parce que c’est Oxmo, il est respecté de tous les artistes, même les nouvelles générations, et je le respecte aussi. Le point de départ de ce projet-là part effectivement d’un DM sur Insta. Après on s’organise, on fait des répétitions avec les musiciens et voilà. La représentation a eu lieu hier, c’était grand. Même de faire partie de ce panel-là d’artistes : B.B Jacques que je respecte énormément, Benjamin Epps aussi, Jok’air, Jäde… Je les respecte et ça fait plaisir d’être parmi eux. Bien évidemment c’était chapeauté par Oxmo. Incroyable.
Collaboration entre Eesah Yasuke et Oxmo Puccino pour la création DÉSIR(S) du printemps de Bourges : tout part d’un DM
T’as grandi avec des influences variées, du rock à la rumba congolaise… Pourquoi avoir choisi le rap comme moyen d’expression ? Est-ce que c’était le genre qui correspondait le plus pour exprimer ta combativité ?
Je sais même pas si je me suis dit que je faisais un choix et que j’allais faire du rap. J’ai eu toute une période à l’âge de 14 ans où j’ai écrit des poèmes, puis ça s’arrête pendant quelques temps, avant de reprendre. À ce moment, je suis éduc’ spé et je bosse dans le milieu de l’exclusion qui est assez dur, avec des personnes qui sont dans la rue qui ont un parcours complexe. L’écriture se déclenche à nouveau à ce moment-là. Je chantais depuis toujours, c’était toujours là, mais j’avais pas identifié son importance dans ma vie à ce point-là. Alors que la musique, je me rends compte à quel point elle a été là à des moments-clés. Ça s’est un peu imposé à moi, la musique c’était un besoin. Et j’avais envie d’aller plus loin que la poésie, j’avais envie de le rapper, de le scander. Puis j’ai commencé à exprimer des choses sur le typebeat, j’ai chanté aussi. Le rap a aussi la particularité d’être franc, même si j’écoute de tout. On parle de thèmes qui me parlent, comme avec le racisme par exemple. C’était naturel, il n’y avait rien de calculé.
Tu reviens souvent sur le concept de résilience. Tu as commencé ta carrière en tant qu’éducatrice car tu voulais aider les gens. Est-ce que tu commences à voir l’écriture non seulement comme un moyen de t’aider, mais aussi d’aider les autres ?
Franchement, j’espère. Si j’arrive à faire ça, je trouverai ça incroyable. Parce que la manière dont la musique et la foi ont sauvé mon existence, c’est incroyable. Si moi aussi je peux faire ma part, ce serait avec joie. Il y a vraiment une renaissance depuis que je suis dans la musique.
Oui tu utilises d’ailleurs souvent l’image de graines semées qui finissent par éclore, c’est un peu ça non ?
Oui, le semeur de graines ! On a pas le même sang, mais c’est ma soeur. On était placé dans le même foyer et elle m’a toujours poussée. Elle m’a inscrite à la Nouvelle Star, elle y croyait même avant que ça ne germe dans mon esprit. Il n’y a pas de hasard. Je remercie mon entourage, ce sont les personnes de l’ombre qui font qui nous sommes en tant qu’artistes, qui donnent de la force. Mes premiers producteurs, c’est mes amis. On finissait PROPHÉTIE… C’est la première fois que je le dis en plus. Mais on a galéré pour payer un mix. On n’avait pas de fonds, c’est tellement arrivé comme ça que j’avais pas monté de dossier. Ils ont fait une cagnotte, ce qui a pu financer le master de PROPHÉTIE. J’étais aussi accompagnée par Le Flow, une structure sur Lille. C’est important de les citer.
Tu dis souvent que c’est important pour toi d’être centrée, alignée à toi-même. Comment tu fais pour maintenir cet alignment lorsque t’es dans des périodes ultra productives ou quand t’enchaînes les dates ?
C’est le fait d’avoir une spiritualité qui fait que je me recentre. On coupe tout et on se recentre sur les choses importantes. Ça me permet d’être alignée et quelque part, d’être. Sans être artiste, c’est moi en tant que personne. La spiritualité ça m’apporte cet équilibre dans ma vie mais aussi dans ma vie d’artiste parce que ça vient se corréler à ma vie personnelle. Le sport aussi me permet d’exulter.
Tu as récemment sortit un triptyque avec les sons « Mythologie », « Fuck1rsa » et « NGR ». Les deux morceaux sont plutôt doux, avec des paroles dures, mais la fin de « NGR » est plus rock. Est-ce que c’était une sorte de culmination, une explosion qui est causée par les paroles dures qui précédent ? Ou alors c’était une envie d’avoir quelque chose de plus rock ?
« NGR » était long à faire, avec beaucoup de versions. Au départ, l’envolée avec la batterie et la guitare électrique n’existait pas, mais je trouvais qu’il manquait quelque chose et je voulais explorer. J’ai contacté le batteur qui avait fait la prod de « Hennessee » et ainsi qu’un guitariste. Ça me permettait aussi d’exprimer mon côté rock. C’était spontané et c’est aussi ça la musique. Je me suis dit que ça allait peut-être pas plaire mais c’est pas grave, moi j’aime bien (rires). Je pense que c’est important de se dire ça en tant qu’artiste, à une époque où il y a beaucoup de choses. C’est important de s’écouter et c’est pas grave de ne pas faire l’unanimité. L’unanimité, c’est une chimère. J’ai envie de le dire à tous mes frères et tous mes soeurs de son, à tous les artistes. Faites ce qui vous plaît et écoutez-vous.
Je voulais revenir sur les visuels aussi de ces trois titres. Le premier c’est un tableau où on te voit de dos et t’observes une montagne. Le deuxième, j’ai pas très bien compris ce que c’était ?
« Fuck1rsa » c’est une vanité. D’abord, c’était une photographie et je voulais représenter l’opulence, en paradoxe avec « Fuck1rsa ». Quand tu sors de la galère, t’as envie de manger en vrai (rires). Cette vanité était importante, je ne voyais pas comment l’exprimer autrement.
Et le dernier, pour « NGR », on te voit de face. Je me demandais pourquoi ce portrait de face puis il y a une plaque en or avec le titre. C’est une manière pour toi de t’inscrire dans l’histoire ? Et puisque tu es de face, est-ce que c’est une façon de montrer que tu t’affirmes ?
Le fait que je sois représentée de face, c’est une allusion subtile à la photo très célèbre de Malcom X. C’était un petit clin d’oeil au thème qui était abordé dans « NGR » où on parle d’une insulte raciale. C’est une allusion subtile donc elle n’était pas forcément visible. En plus j’explique peu (rires). J’aime pas trop expliquer parce que j’aime bien que chacun puisse faire son analyse et se l’approprier.
Pour la journée internationale de la femme, tu as posté sur Instagram une collaboration avec Tim Dup où tu parles des femmes battues. Comment est née ce titre ?
Il me semblait pas que c’était posté ce jour-là, que ça s’inscrivait dans cette temporalité-là. Pour moi, le 8 mars c’est tous les jours. Il faut se soucier de ces violences tous les jours, c’est tous les jours qu’il y a des femmes qui meurent sous les coups de leurs conjoints. C’est quelque chose qui s’ancre dans le temps, malheureusement.
Tu as fait la première partie de Kery James, de Youssoupha, de Josman aussi… Y a-t-il un artiste, pas forcément un rappeur, dont tu rêverais de faire la première partie ?
Il y en a pas mal. J’aimerais bien faire la première partie de Yâmé, il arrive, il est très fort. Il a une musicalité incroyable. Forcément je pense à Nekfeu s’il se produit un jour. C’est un artiste que je respecte, j’aime bien les valeurs qu’il défend, sa musicalité, son verbe, tout. Puis Benjamin Epps aussi, que je respecte et on s’apprécie. On a quand même partagé une scène à l’Arte Concert avec les Neg Marrons, c’était grand. J’aime bien sa vibe.
Et enfin notre question signature, quel artiste vous nous recommanderiez d’interviewer ?
Je dirais Benjamin Epps. Il y a une manière de parler très claire. C’est un bon conteur. Il est très intéressant et agréable à écouter. On a partagé des interviews hier et j’aime bien la manière dont il expose les choses. Il est humble alors qu’il est grand. Son art est grand. Vraiment, respect.
CONCLUSION
Merci à Eesah Yasuke pour cette interview ! Nous avons d’ailleurs assisté à son concert, qui fait partie de nos coups de coeur de cette édition 2023 du Printemps de Bourges. La jeune artiste a une aura incroyable sur scène et nous avons hâte d’écouter son prochain EP PROPHÉTIE : rendez-vous le 30 mai !
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