A l’occasion de la 47ème édition du Printemps de Bourges, nous avons discuté avec Jean-Michel Dupas, programmateur et directeur artistique du Printemps de Bourges. Au programme, du 18 au 23 avril 2023 : têtes d’affiche, iNOUïs, scène émergente et créations.
Félicitations pour cette nouvelle programmation du Printemps de Bourges, qui crée de l’engouement chaque année. Pourriez-vous me parler un peu plus de votre processus de sélection ? Y a-t-il des artistes que vous découvrez en concert ou en festival ?
On débute le processus à peu près en juin, deux mois après l’édition du festival. Là, on est plutôt sur des têtes d’affiche, avec la scène du W plus particulièrement. La particularité de Bourges, c’est qu’on a des salles qui vont de 100 places à 10 000 places pour la plus grande. On commence en juin et je travaille en équipe avec deux autres programmateurs. On va monter la programmation du W jusqu’à octobre pour une annonce autour du mois de novembre. Ça, ça concerne seulement une vingtaine de groupes.
Ensuite, on a tous nos plus petits lieux, qui vont correspondre à 70-80 groupes qu’on programme jusqu’à mi-janvier.
On reçoit aussi beaucoup de choses, on va aller à beaucoup de concerts, quelques festivals en France ou à l’étranger.
Le rap se taille une part de plus en plus grande dans le programme, avec le mercredi 19 avril au W (Lomepal, Dinos, Meryl, Kalika) et le samedi 22 avril au W (Lorenzo, Gazo, Hamza, Tiakola) qui affiche complet. Est-ce un défi grandissant que de créer une programmation hip/hop et rap qui suscite de l’intérêt, alors que le genre continue à gagner en popularité ?
C’est vrai que maintenant, tous les festivals généralistes programment du hip-hop, du rap français en particulier. Avant, certains festivals généralistes pouvaient programmer du hip-hop anglosaxon. Nous, on ne peut pas vraiment dire qu’on s’est raccroché au wagon puisque le rap français a toujours eu une grande place au sein de la programmation du Printemps de Bourges. Il y a 15 ou 20 ans, on faisait déjà beaucoup d’artistes rap français et on était l’un des rares festivals généralistes – je ne parle pas des festivals spécialisés dans le genre – qui faisait ça. Pour nous, ce n’est pas une nouveauté. C’est aussi pour ça que beaucoup d’artistes nous font confiance, parce qu’on a souvent été les premiers à les programmer. Il y a cette grosse scène du W, mais on n’a pas non plus voulu oublier cette scène hip-hop émergente. C’est pour ça qu’on a fait toute une soirée autour de la scène émergente, avec des artistes comme Prince Waly, Favé, Kerchak, J9ueve pour ne citer qu’eux.
Et de l’autre côté il y a les iNOUïS, dispositif phare du Printemps qui continue de séduire la foule. Est-ce une fierté considérant l’importance des têtes d’affiche pour la programmation ?
C’est vraiment une fierté. Les iNOUïS, c’est quasi l’ADN du Printemps de Bourges. Même si on a quelques têtes d’affiche, 70% de notre programmation est tournée vers les artistes émergents. Des artistes émergents, qu’est-ce que ça veut dire ? Ce sont des artistes qui ont pas du tout d’album ou ont juste un single, un EP ou un premier album. Et parmi ces 70%, on a la partie phare représentée par les iNOUïS. On s’appuie sur 30 antennes en France qui vont faire du défrichage toute l’année pour essayer d’avoir les meilleures découvertes. Cette année, c’était 3300 artistes. On va en sélectionner 150 pour faire des auditions partout en France. Sur ces 150, on va en retenir 33 qui vont jouer au Printemps. Le choix des artistes est fait et ce sera annoncé la semaine prochaine.
En parlant des iNOUïS, on se donne rendez-vous mardi prochain pour connaître la sélection de cette année. Sans trop nous spoiler, qu’est-ce que nous proposera ce cru de 2023 ?
Ça fait 4-5 ans maintenant qu’on s’est recentré sur des groupes très jeunes. C’est un dispositif qui est d’abord fait pour les professionnels, pour qu’ils puissent découvrir des artistes qu’ils ne connaissent pas. Dans cette nouvelle mouture, il y a une grande majorité d’artistes qui ont juste fait quelques dates, pour certains les auditions étaient leur première date. L’idée, c’est de faire un instantané sur toute cette nouvelle scène française, qu’elle soit chanson ou hip-hop, électro ou rock/pop. On veut montrer tout ce qui peut se faire dans la diversité de cette jeune scène française. On est encore super fier de cette nouvelle sélection. Et c’est très excitant de montrer ces projets à des gens qui n’ont jamais vu ces projets-là. Et dans ces projets, il y aura sans doute les futures stars françaises. Des gens comme Christine and the Queen, Fishbach sont passés par les iNOUïS. Donc c’est excitant de savoir que dans ces 33 artistes, il va y avoir quelques pépites qui émergeront dans les années à venir.
Cette année, le Printemps de Bourges ne rend pas hommage à seulement un artiste, mais à trois albums avec la Trilogie 72 (Ziggy Stardust de David Bowie, Transformer de Lou Reed et Harvest de Neil Young). Pourquoi ce focus sur l’année 72 ?
On a toujours présenté des créations à Bourges, on trouve ça hyper important de sortir du simple cadre de la diffusion et de proposer des créations. Si les iNOUïS sont un ADN du Printemps, les créations en sont un autre. On a cinq créations qu’on présentera cette année. Une création entre Sophie et Florent Marchet, une avec Oxmo Puccino et la jeune scène hip-hop. Et il y a cette trilogie 72 où on a voulu revisiter trois albums cultes de cette année et qui sont continuellement classés dans les 10 meilleurs albums de tous les temps. On a tout juste fêté les 50 ans de ces albums donc on a trouvé ça important de fêter ça. Mais ce sera une relecture. Le Transformer de Lou Reed sera revisité en un piano-voix, le Ziggy Stardust sera revisité par Leonie Pernet mais dans une version très électro et rétrofuturiste. Puis le Harvest de Neil Young qui sera revisité par la Maison Tellier et d’autres invités. Ils en proposeront une lecture un peu plus classique, mais assez riche.
Toujours sur le thème des créations, le festival va également nous présenter DÉSIR(S), réalisée par Oxmo Puccino. Il sera accompagné de la jeunesse du rap français (BB Jacques, Benjamin Epps, Eesah Yasuke, Jäde et Jok’Air). Comment est venue l’idée de cette création, est-ce un travail en binôme qui se fait entre le festival et les artistes ou donnez-vous carte blanche ?
Là en l’occurrence, c’était une création impulsée par nous. Ça faisait un petit moment qu’on avait envie de présenter une création autour de la jeune scène rap français. Souvent, nos créations sont plutôt axées vers la chanson ou de la pop. On voulait, sous un thème donné, réunir de jeunes artistes et la personne qui nous a paru évidente pour être le parrain de cette scène-là, c’était Oxmo Puccino. Il a accepté haut la main ce qu’on lui a proposé et on a monté ensemble un petit casting de cinq artistes : BB Jacques, Benjamin Epps, Eesah Yasuke, Jäde et Jok’Air. Il a choisi ce thème du désir parce qu’il voulait aussi montrer qu’il était important de creuser sur cette question, loin de l’image clichée qu’on se fait des artistes de rap. Ils vont puiser dans leur propre répertoire, dans des reprises mais aussi dans des textes littéraires. L’objectif d’Oxmo, c’est de créer une sorte d’opéra-rap, même si le terme est peut-être ambitieux. Mais en tout cas de faire répondre des artistes sur ce thème du désir.
Avec vos années d’expérience en tant que programmateur, qu’est-ce que pour vous une programmation réussie ? Et en tant que spectateur ?
(rire) Vaste question ! En tant que programmateur, on sera toujours frustré de pas avoir des artistes qu’on voulait présenter. Mais la vraie satisfaction, c’est ce qu’on disait tout à l’heure, c’est de pouvoir mettre des artistes devant des spectateurs qui vont les découvrir pour la première fois et qui vont être totalement transportés.
C’est ça la vision du programmateur, c’est d’être l’entremetteur entre un public et un artiste. Et ça marche encore mieux quand le public découvre pour la première fois l’artiste et qu’il accroche immédiatement.
Ça veut vraiment dire qu’on a fait notre travail. Et du côté du public, je crois que c’est de vivre un moment particulier, de voir un moment éphémère et unique.
Vous êtes passé directeur artistique du printemps il y a quelques années déjà. Est-ce que cette nouvelle casquette vous a permis de regarder votre travail de programmation d’un nouvel œil ?
Oui, parce qu’il faut envisager la programmation dans sa globalité et pas seulement comme une succession d’artistes. Mais il faut essayer de trouver un lien entre. Une programmation doit un peu sortir du lot, parce qu’il y a une multitude de festivals. Si on veut être un peu différent des autres, il ne faut pas présenter les artistes comme une succession de diffusions mais c’est important d’y mettre beaucoup d’émergence et de création. On a la chance de ne pas avoir une salle ou un lieu unique, mais on a plein de salles différentes. On a des lieux patrimoniaux, on va dans des églises, on a des vieux théâtres ou des salles plus classiques. Le but c’est de mettre le bon artiste dans la bonne salle, dans le lieu qui lui correspond complètement. Tout ça, c’est une vision d’ensemble. De se dire qu’un spectacle est mieux à cet endroit-là, que c’est là où il prendra toute sa substantifique moëlle – si on peut parler un peu pédant (rire). Ce travail d’ensemble-là est plutôt intéressant à monter.
Est-ce que vous avez des coups de cœur dans la programmation ou des artistes que vous avez hâte de voir en live cette année ?
Il y en a plein. Zaho de Zagazan, qui est pour moi l’une des futures stars de la chanson française et qui sortira un album un mois avant Bourges. Aussi le BD-concert autour des algues vertes parce que c’est un sujet d’actualité (sur la pollution). On trouvait intéressant d’interroger les gens sur un fait de société par un biais culturel. C’est aussi la carte blanche avec Thomas de Pourquery qui viendra présenter son nouveau projet pendant trois jours au Palais Jacques Cœur. Il va réserver plein de surprises, il va faire visiter les spectateurs avant de finir par dévoiler son nouveau projet. Thomas de Pourquery, c’est sans doute le jazzman le plus ouvert. Il est capable d’aller dans tous les styles. Je pourrais aussi citer le projet de Lucie Antunes qui présentera son nouvel album à la Maison de la Culture. Je pourrais parler de Voyou et Coline Rio. Il y en a plein évidemment, je ne vais pas tous les citer mais voilà les quelques coups de cœur de notre part.
Si vous souhaitez plus d’informations sur la programmation du Printemps de Bourges, on vous donne rendez-vous sur le site officiel. Pour rappel, le festival aura lieu du 18 au 23 avril 2023. Et pour la billetterie, c’est par ici !
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