Jo Dahan, l’homme à la casquette a donné rendez-vous à Pozzo Live dans le p’tit café de la Halle de la Machine à Toulouse en ce samedi 12 août, pour faire le point sur son dernier disque et ses projets à venir quelques minutes avant son concert. Attention ! Jo Dahan se met à table et le menu est copieux…
Increvable, inoxydable, indéboulonnable Jo Dahan ! Après le split de la Mano Negra au milieu des années 1990, l’ex-bassiste émérite de ce fer de lance du rock alternatif français a continué son petit bonhomme de chemin et s’est retrouvé au sein de nombreuses formations comme Les Wampas, Les Patron$ et a même accompagné Gaëtan Roussel. Parallèlement à tout ça, Jo Dahan collabore activement avec l’équipe du Groland ainsi qu’avec la compagnie Royal Deluxe tout en menant de front sa propre carrière solo. Fort d’un second album dans sa besace, Injoignable, sorti en mars dernier, c’est avec un Jo Dahan détendu et affable qu’on s’attable pour discuter une bière à la main…
Bonjour, Jo ! Injoignable est sorti en mars 2023 et tu y a bossé depuis 2017 après ton premier disque, Ma Langue Aux Anglais. Pourquoi tout ce temps ?
J’ai pris beaucoup de temps pour le concocter car je l’ai démarré tout seul. Et quand tu es tout seul, tu passes beaucoup de temps à chercher un son. Il y a beaucoup de proches qui y ont participé comme Philippe Teboul [ex percussionniste de Mano Negra et actuellement avec Manu Chao – ndr] avec qui je joue depuis des années ou Sylvain Cartigny qui a fait pas mal de guitare sur ce disque. De mon côté, j’ai fait la majorité des autres trucs mais j’ai beaucoup cherché un véritable son. Par exemple, il m’est arrivé de travailler parfois 6 mois sur des chansons… et elles ne figurent même pas sur l’album ! Car le temps est passé, de nouveaux morceaux sont arrivés et il n’y avait plus de place pour les anciens !
Tu n’as pas encore trouvé ton son depuis toutes ces années à faire de la musique ?!
Non, car il y a toujours du nouveau. Par exemple, dès que tu changes une personne dans un groupe, le son change…
Tu fais donc évoluer ton son en fonction des personnes qui travaillent avec toi ?
Oui, c’est ça ! Tu vois, on vient d’enregistrer un album avec Joseph Cartigny et Tommy Haullard [les 2 musiciens qui accompagnent Jo Dahan sur sa tournée Injoignable – ndr] et on a trouvé notre son. On s’appelle maintenant Jo Dahan & Le Gonzo Club. On a mis en boîte un album au mois de mars 2023 et on a mis seulement 4 jours pour l’enregistrer ! On a tout fait en live et on est maintenant en train de fignoler les voix. Il ne manque plus que le mixage et le mastering puis voir quels morceaux on garde et lesquels on jette…
Cet album est le contraire d’Injoignable car on a tout de suite trouvé notre son ! C’est pour ça qu’on a décidé d’enregistrer en live dans une pièce, tous ensemble, avec pour but de retrouver le plaisir du studio. En effet, souvent en studio, tu passes des heures à jouer chacun son tour quand tu es en groupe et le seul maître à bord est un clic ou une boîte à rythme !
En ce qui concerne la gestation d’Injoignable, on sent que tu as beaucoup bourlingué car tu as enregistré des morceaux un peu partout et même ici à Toulouse, à la Halle de la Machine. Comment s’est passé tout ce joyeux bordel ?
C’était un joyeux bordel comme tu dis, car le souci c’est qu’à la fin tu te retrouves avec un patchwork tellement le son fourmille de nombreux éléments musicaux. J’ai eu la chance de rencontrer un gars qui s’appelle Nicolas Querré qui a su synthétiser tout ça dans son mixage et donner une uniformité à l’album.
Il lui reste encore des cheveux ? Car il dû s’arracher les cheveux avec tous ces morceaux enregistrés partout à la volée…
J’avais d’abord fait un premier tri et passé pas mal de trucs au tamis ! Ensuite, Nicolas a refait un tri et on a travaillé pour avoir quelque chose qui tient bien la route.
Comment se sont passées toutes les collaborations musicales sur Injoignable avec des gens comme Philippe Teboul, Sylvain et France Cartigny, Tommy Haullard, etc. ?
Sylvain Cartigny est le père de Joseph Cartigny [l’actuel batteur de Jo Dahan – ndr]. C’est quelqu’un que je connais depuis longtemps qui fait beaucoup de musique de théâtre mais qui est très pris. Lorsqu’il n’était plus libre pour travailler sur l’album, il m’a présenté Tommy Haullard avec qui j’ai fait des essais avec Philippe Teboul à la batterie. Ça s’est super bien passé car Tommy faisait la basse sur son clavier à la main gauche et les mélodies à la main droite en plus des chœurs, un peu à la façon de Ray Manzarek des Doors. Il sait faire pas mal de trucs ! Ensuite, Philippe ne pouvait plus faire les concerts car il était pas mal pris lui aussi et c’est comme ça que Sylvain m’a présenté son fils, Joseph.
T’as aussi travaillé avec pas mal de monde pour les enregistrements des morceaux, notamment Jean-Pierre Spirli…
Oui, Jean-Pierre Spirli est un ingé-son que je connais depuis très longtemps. Depuis l’époque alternative pour être plus précis. Il faisait notamment le son d’O.T.H., des Wampas et plein d’autres groupes. On a eu envie de travailler ensemble et bosser avec lui est toujours plaisir. On s’est beaucoup vus pendant un moment car il s’est chargé de la majeure partie des enregistrements puis ensuite il est parti en tournée…
Comment se passe le travail de composition quand on s’appelle Jo Dahan ? Tout part d’un riff ? d’une mélodie ? D’un début de texte, … ?
Il n’y a vraiment pas de règle. Ça peut partir d’un texte, d’un groove, d’un rythme qui fait envie, ça peut aussi partir d’un yahourt ou être le fruit d’une collaboration sur les textes… Il y a par exemple deux textes sur Injoignable qui sont signés Pascale Murtin. C’est une autrice de théâtre de la compagnie Grand Magasin qui a une écriture un peu dadaïste que j’aime bien. Pour moi, c’est une porte qui s’est ouverte car j’aime les chansons réalistes et raconter des histoires au premier degré et elle, elle a su insuffler des images dans ses textes…
Il y a un spectre musical très large dans cet album puisqu’on passe du rock, au punk tout en passant par des valses façons balloche. Tu as mis dans ce disque toutes les facettes de ta personnalité ?
Ça n’a pas été un calcul… que des envies ! Je ne me suis pas dit que j’allais faire un album que de rock ou autre. C’est venu comme ça et je ne me suis pas posé de questions. Maintenant que je joue avec Joseph et Tommy, on est sur la même dynamique. On joue ce qui nous plaît sans se demander si on va faire une valse ou un rock…
J’en reviens à Nicolas Querré pour le mixage, mais comment a-t-il fait pour donner de la cohérence à cet album dans la mesure où le spectre musical est très large ?
Le travail s’est fait très naturellement dans le mixage puis au fil du temps on a supprimé les morceaux qui ne marchaient pas ou qui ne collaient pas, notamment quand il y avait trop de bidouilles. En fait, le truc quand tu fais un album tout seul c’est que tu as tendance à t’amuser avec les outils numériques d’aujourd’hui. C’est un peu comme de la pâte à modeler : tu peux étire ou rétrécir les morceaux, leur donner plus de gratte, des aigus, changer la note, etc. C’est vachement marrant de faire ça car on a l’impression d’être dans un petit laboratoire et de pouvoir essayer plein de trucs. Moi, ça me plaît beaucoup et je me laisse parfois porter par tout ça sur le moment… Puis plus tard, je m’aperçois souvent qu’il y a eu trop de bidouilles !
Il y a eu beaucoup d’écrémage sur Injoignable ?
Ouais, il y a eu quelques morceaux qu’on n’a pas gardés car je ne me sentais plus de les laisser sur le disque. Ensuite, quand je suis passé par l’étape Nicolas Querré, d’autres compositions ont été écrémées au fur et à mesure puis, au final, les titres qui restent étaient une évidence.
En fait on a un concentré de ta musique en un peu moins de 30 minutes…
J’ai commencé cet album il y a 5 ans (même si je n’ai pas fait que ça, quand même !) et lorsque l’idée est venue de le sortir uniquement en vinyle, ça m’a permis de repenser le concept de la face A et de la face B et de repenser aussi la mise en scène des chansons. Cette approche-là a permis en un sens, de participer à l’écrémage des morceaux.
Comment tu vois Injoignable par rapport à Ma Langue Aux Anglais ?
Je vois surtout mes goûts et les choix qui s’affinent… Maintenant, je sais plus vers quoi j’ai envie d’aller. Ma Langue Aux Anglais était mon tout premier album. Je l’aime bien, il y a des chansons que je trouve super mais le principal défaut de ce disque c’est que j’ai voulu un peu tout garder, notamment dans les morceaux eux-mêmes. J’avais du mal à les reproduire sur scène. Aujourd’hui, je ne rencontre plus ce problème car je sais où je vais avec Le Gonzo Club. C’est d’ailleurs pour ça qu’on a fait notre prochain album en 4 jours !
Pour rebondir sur Le Gonzo Club et ce futur album, comment s’est fait le processus de composition ?
Ça reste toujours du Jo Dahan car il y a des chansons qui sont vieilles car je les ai écrites il y a 5 ou 7 ans mais elles ont pris une autre forme avec l’arrivée de Joseph et de Tommy. Ensuite, il y a un morceau qui prendra toute une face du disque et qui va durer 15 minutes ! Ce titre-là, il a été composé avec eux. C’est d’ailleurs pour ça que ce n’est plus Jo Dahan tout seul mais Jo Dahan & Le Gonzo Club.
Ce futur album a un titre ? Il sortira quand ?
Jo Dahan & Le Gonzo Club. Ce sera le titre du disque et le nom du groupe. J’espère que ça sortira dans le courant 2024. L’album sera disponible uniquement en vinyle. C’est mort pour le CD car les gens qui achètent des PC ne peuvent plus les lire. Tout est maintenant en numérique. On a décidé de le sortir en vinyle pour l’objet. Je trouve ça vachement plus beau. La pochette est plus grande et on peut faire plus de choses. Et puis on n’écoute pas un vinyle de la même façon qu’un CD car il y a une face A et une face B. Ceci étant, il y aura un code dans la pochette pour pouvoir télécharger et écouter le disque en numérique…
Tout comme dans Injoignable, d’ailleurs !
En effet. C’est d’ailleurs un énorme contresens avec la pochette du disque sur laquelle on voit un bonhomme jeter son téléphone portable dans les toilettes… Mais on ne peut pas être complètement cohérent à 1000% ! (rires)
Le trio fonctionne bien. Tu avais déjà joué dans cette configuration auparavant ?
Oui. À l’époque, j’avais monté un trio avec Sylvain Cartigny – le père de Joseph – et France Cartigny qui est la sœur de Sylvain et donc la tante de Joseph. On jouait des morceaux de France et de Sylvain… Ce qui est super en trio c’est que tout le monde a de la place pour s’exprimer !
Ça fait quoi de jouer avec des petites jeunes comme Joseph et Tommy qui ne sont pas encore trentenaires ? Tu es un peu le daron, non… ?
Franchement, rien n’a été calculé. Je n’ai pas fait de casting pour trouver des mecs plus jeunes que moi. C’est une vraie rencontre musicale… Ils sont plus jeunes, donc ils sont plus cons ! (rires). On a une grosse différence d’âge car j’ai 58 ans et eux en ont 28 mais je ne suis pas paternaliste et tout se passe super bien avec eux.
Est-ce que le public qui t’a suivi sur Ma Langue Aux Anglais, t’as aussi suivi avec Injoignable ?
Oui, les gens qui ont écouté Ma Langue Aux Anglais ont aussi apprécié Injoignable. Il y a des gens qui étaient aux concerts pour la sortie du premier album et qui sont aussi présents aujourd’hui. Au fur et à mesure on fidélise un public. Avec Joseph et Tommy on a maintenant plus de 50 concerts dans les pattes depuis plus d’un an. C’est plutôt bien, on est contents et le truc commence à prendre du power…
On remarque que tu joues pas mal dans les bars concert ou les petites salles. C’est un choix de ta part ?
Non, c’est comme ça… Je dirais que c’est notre réalité économique. On n’a pas de structure, pas de maison de disque et pas de tourneur. On est un peu dans le maquis… Pour l’instant ça va, on fait tout nous-mêmes. Petit-à-petit, il y a des gens qui nous approchent et le prochain album est d’ores et déjà enregistré, peut-être que la donne va changer…
Tu n’as pas des points d’entrée plus faciles avec l’aura de Mano Negra derrière toi ?
L’aura de Mano Negra amène effectivement des dates de concerts et des curieux qui se déplacent un peu pour nous voir jouer, mais en ce qui concerne les prods, ça n’aide pas vraiment… ça pourrait même jouer contre moi car les gens peuvent penser que Mano Negra fait partie du passé et s’attendent à me voir jouer de la basse !
À la base tu es guitariste ou bassiste ?
À la base, je jouais de la guitare dans Les Casse-Pieds ! C’est Manu [Chao – ndr] qui m’a connecté sur la basse. J’en avais joué un peu avec un petit groupe auparavant qui s’appelait Les Volés avec Phil Teboul, Daniel Jamet et Tomassin. Ça avait juste duré le temps d’une chanson… Manu m’a demandé de prendre la basse dans Mano Negra et j’ai adoré ça !
On te voit jouer quasiment tout le temps sur les guitares Gretsch. Pourquoi ?
Le son ! J’adore ce son rock n’ roll / blues qui peut être crade ou clean. Ce sont des grattes hyper sensibles : si tu attaques bien ça sature comme il faut mais tu peux aussi jouer plus cool. Et puis, il y a la Gretsch d’Eddie Cochran, la Gretsch de Malcolm Young d’AC/DC…
Quand on va à tes concerts, aux concerts de Manu Chao ou bien aux concerts de Flor Del Fango où on retrouve Daniel Jamet à la guitare et Philippe Teboul à la batterie, on remarque qu’il y a très peu de reprises de Mano Negra alors que le public en attend. Pourquoi ce choix ? Vous avez tous peur de réveiller le spectre de la reformation en intégrant des reprises de Mano Negra dans vos setlists ? Il y a un tabou… ?
Non, je ne pense pas qu’il y ait de tabou. Personnellement, je ne vois pas ce que je pourrais chanter de la Mano Negra. Je pense que je serais ridicule si je devais chanter en espagnol, par exemple. Moi, je joue « Darling, Darling » en concert car cette chanson est une composition des Casse-Pieds, reprise plus tard par la Mano. Je me sens donc légitime de la faire car c’est une chanson de Manu Layotte (alias Manu Casquette) qu’on chantait à l’époque dans le métro. Je ne me vois donc pas reprendre un morceau de Mano Negra. Manu lui, peut le faire. Pour moi, vu que Manu Chao est le chanteur de la Mano Negra, il n’y a que lui qui puisse continuer à chanter les vieux titres…
Il le fait peu, justement…
Moi, je trouve ça bien. Car quand tu fais un truc nouveau, tu as envie de le défendre et pas chanter des vieilleries. Tu sais, les musiciens de Flor Del Fango composent leurs chansons, Daniel compose aussi ses chansons avec La Poison… Ils ont envie de défendre ce qu’ils composent, ce qui est logique. Même Manu veut défendre ses propres chansons, c’est normal ! Si on faisait plein de titres de Mano Negra dans nos concerts, on balancerait que des plats réchauffés… je trouve ça élégant de ne pas trop faire de reprises.
Tu as toujours des bonnes relations avec les ex-membres de Mano Negra ?
Oui ! On se croise de temps en temps, on s’envoie des mails etc. J’ai vu Manu il n’y a pas si longtemps… Il n’y a aucune animosité entre nous tous.
Du coup, sempiternelle question : une reformation de Mano Negra serait donc possible ?
(rires) Qui sait ?
Quand tu regardes dans le rétro, quel regard tu as sur ton propre parcours d’artiste ?
J’ai eu du bol. J’ai eu vraiment beaucoup de chance d’avoir rencontré des gens comme Manu Chao, notamment. Quand on a démarré dans le métro avec Manu Casquette, on n’était même pas dans le mouvement alternatif. Les gens qui étaient dans le mouvement alternatif étaient déjà eux, dans la lumière comme les Bérurier Noir, Parabellum, Los Carayos, O.T.H. ou Les Garçons Bouchers. Nous, on était dans le métro, dans les souterrains ! La rencontre avec Manu Chao a fait qu’il nous a sorti du métro… Il nous a fait prendre l’air, là-haut ! (rires) De son côté, il avait déjà joué avec les Hot Pants ou Los Carayos, il connaissait donc tout le circuit alternatif…
Tu as un champ artistique très large parce qu’on t’as vu avec Les Wampas, Gaëtan Roussel mais aussi au sein de l’équipe du Groland…
Tout est une histoire de rencontres. J’ai travaillé aussi ici à La Halle de la Machine, ce qui m’a permis de me familiariser avec le théâtre de rue via le Royal Deluxe qu’on avait déjà rencontré avec la Mano en 1992. J’ai toujours gardé des liens avec ces gens même si je ne me rendais pas compte à l’époque que ces rencontres étaient si importantes. Le lien que j’ai avec le théâtre de rue c’est l’interactivité avec le public. C’est une chose qu’on avait développé en jouant dans le métro et que j’ai retrouvé dans le théâtre de rue. Tu ne l’as plus trop quand tu fais de grandes scènes alors que quand tu fais des spectacles de rue, tout va très vite et dès qu’il se passe un truc tu peux y rebondir dessus, raconter des histoires etc.
Au sein de la Halle de la Machine, il y a plein de gens qui ont des petites compagnies et qui créent leurs propres spectacles… d’où l’importance de défendre ces créations. Je fais le lien avec ce qu’on se disait toute à l’heure quand tu me posais la question sur les reprises de la Mano Negra dans les concerts : on avait créé un petit monde avec la Mano qu’on a bien défendu, maintenant on en a créé un nouveau et on fait tout pour le défendre aussi !
Pourvu que ça dure !
Ah ben, ouais…
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