Nous avons rencontré le bassiste John Calabrese à l’occasion de la sortie de l’album Power Trio de Danko Jones (voir notre chronique). Le fidèle acolyte du chanteur et guitariste depuis maintenant 25 ans a fait le point avec nous sur sa carrière et ses évolutions, et nous a parlé de ses projets alors que la sortie de crise s’amorce doucement.
Pozzo Live : Bonjour John ! En tant que bassiste tu es moins dans la lumière que Danko. Peux-tu te présenter à nos lecteurs ?
John Calabrese : Salut à tous, je suis le bassiste du groupe Danko Jones, je suis là depuis nos débuts et je suis très content de pouvoir parler avec vous de Power Trio !
PL: Cela fait 25 ans que tu tournes avec Danko, alors je te propose de jouer à un jeu pour voir à quel point vous vous connaissez bien.
JC : Super, j’adore les jeux !
PL : Quel est votre endroit pour traîner ensemble ?
JC : Hmm, loin l’un de l’autre (rires) ! Non, plus sérieusement, c’est sur scène, définitivement. Chaque moment qu’on partage sur scène, c’est le meilleur endroit au monde. On joue ensemble depuis tellement longtemps que la dynamique entre nous est devenue instinctive. On est un peu comme un vieux couple marié, et c’est à prendre dans le sens le plus gentil possible. Je peux entendre ce qu’il joue, ce qu’il ne joue pas, savoir ce qui se passe bien mieux que nos roadies ou les techniciens des salles.
PL : La boisson que vous appréciez tous les 2 ?
JC : La horchata de xufa. C’est une boisson faite à partir de la noix de xufa à Valence, en Espagne. Je l’ai faite goûter à Danko il y a quelques années et on adore ça. Ca se rapproche un peu du succo di mandorla italien. C’est très rafraichissant quand il fait chaud dehors.
PL : Un film que vous regardez en boucle ensemble ?
JC : Un film qu’on a regardé encore et encore dans un bus de tournée, c’est Snatch.
PL : Votre rituel juste avant de rentrer en scène ?
JC : On a chacun nos trucs. Danko fait généralement des échauffements vocaux, je joue un peu avant et je fait beaucoup d’étirements. On n’a pas vraiment de rituel tous ensemble comme font les américains avec leur « yeaaaah, teaaaam !« . On est des canadiens, on fait les choses simplement (rires). Non pas que ce soit une mauvaise chose à faire, mais au Canada on fait les choses un peu différemment.
PL : La première chose que vous faites en sortant de scène ?
JC : une serviette, et de l’eau !
PL : La pire annecdote en 25 ans de scène ?
JC : Notre van est tombé en panne à la sortie d’Ottawa, par -20°C dehors, et on a attendu 3h pour que quelqu’un vienne nous chercher. On a dû dépenser deux fois ce qu’on allait gagner avec notre concert pour pouvoir rentrer à Toronto et jouer ce concert. Mais on ouvrait pour Beck au Mapple Leaf Garden juste avant qu’il ferme, il y a des années, donc on voulait vraiment y être. Deux d’entre nous sont allés à l’arrière de la dépanneuse dans le van, et j’ai pris un taxi jusqu’à Toronto avec notre ingénieur du son. Ça nous a coûté une vraie fortune, mais on est arrivés à l’heure et on a pu jouer !
PL : La plus mauvaise raison pour laquelle il faudrait rajouter un 4ème membre au groupe ?
JC : Quel le groupe se sépare, et que ce soit un autre groupe… C’est amusant, car avec Danko on a déjà évoqué l’ajout d’un 2ème guitariste, mais on a toujours abandonné car ça nous semblait si compliqué d’intégrer un autre membre. On s’amuse toujours beaucoup quand un ami vient jouer quelques morceaux avec nous, comme quand Dregen des Backyard Babies vient poser sa guitare, mais un membre permanent, c’est autre chose.
PL : La chose que tu détestes le plus chez Danko ?
JC : Il n’y a rien que je déteste chez lui. Comme je te disais, on se connait si bien qu’on comprend chacun nos défauts mutuels et qu’on sait faire avec.
PL : Et celle qui l’agace le plus chez toi ?
JC : Je suis toujours très précis avec les choses, je micro-manage beaucoup et ça l’énerve.
PL : Le groupe que vous rêveriez d’accompagner ensemble ?
JC (immédiatement) : AC/DC !!! On a pu rencontrer Angus, Malcom et Phil Rudd il y a des années. J’ai même une anecdote : une famille est venue à un concert en Hollande, un père et ses deux enfants. Je parle avec eux à la fin du concert et l’un me dit « je joue de la guitare, et mon frère joue de la basse, et c’est mon oncle qui m’a montré comment jouer vos chansons ! ». Je lui réponds que c’est cool, tu sais, et il dit, « papa, je peux lui dire qui c’est mon oncle ? C’est Angus Young ! » C’est comme ça qu’on a appris que Angus aimait notre musique. Un peu plus tard on a lu dans une interview que l’un de ses groupes émergents préférés était Danko Jones. C’est super gentil Angus… sauf que ça faisait déjà 15 ans qu’on jouait ! (rires)
PL : Pour revenir à des questions plus sérieuses, il paraît que c’est toi qui a poussé Danko à continuer à travailler sur l’album ?
John Calabrese : Oui, j’ai un peu lancé la machine pour écrire Power Trio. Je lui ai dit qu’on n’avait pas d’autre choix que de le faire à distance. J’avais déjà tout le matériel pour m’enregistrer et il me restait une vieille interface audio que je lui ai prêtée. Je lui ai dit de juste enregistrer ses guitares, même en son clair, et que je réglerais tout ça dans le logiciel d’édition. Au début, il était très sceptique, mais après quelques démos il a vu que ça pouvait fonctionner. Je pense que cette manière de travailler va nous rester par la suite.
PL : Cela veut dire que cette crise aura durablement impacté votre manière de travailler ?
JC : Je pense oui. Ça aide beaucoup. Il faut nécessairement passer par un moment ensemble dans la même pièce, mais nous avons 25 ans d’expérience à jouer ensemble, donc on connait d’instinct la manière dont l’autre va jouer sur certaines parties, on comprend la dynamique de notre ensemble. Et à la fin, on écrit toujours avec l’interprétation live en tête, ça guide beaucoup notre travail. Le vrai test, c’est de les jouer en live.
PL : C’est un peu ce dont on aurait pu avoir peur pour un groupe de scène comme le vôtre, mais à l’écoute de l’album on ressent toujours la même énergie qui est la marque de fabrique du groupe.
JC : Merci ! La chose dont il a fallu être conscient, c’est qu’il ne faut pas sur-penser la musique qu’on écrit. Sinon, tu commences à vouloir rajouter un piano par-ci, des cordes par-là… Non ! Tu sais ce que tu es en tant que groupe, et tu restes fidèle à ta ligne. Tu n’entendras pas une chanson d’AC/DC ou de Motörhead avec un ensemble symphonique derrière. Je ne pense pas que ce soit juste d’infliger au public cette sorte de montagnes russes de complaisance. Nous sommes un groupe de rock ! Avec les années, nous avons appris à faire confiance aux idées qui viennent en premier. C’est la forme la plus pure que tu sortiras, plus tu les remettras en question, et plus tu risques de les dénaturer en quelque chose qui ne te ressemble plus.
PL : Quel rôle joues-tu dans la composition et l’écriture ?
John Calabrese : Je fais beaucoup d’arrangements. Sur Power Trio, j’ai fait la plupart des arrangements, et j’ai aussi écrit certains titres comme Ship of Lies. Généralement, Danko arrive avec des riffs et des idées de paroles, et je vais les réarranger, les aligner sur un tempo, pour que Richard puisse travailler sa batterie dessus. J’ai toujours été un peu l’homme derrière les machines, pour préparer les maquettes avant de rentrer en studio. Sur cet album, j’ai pu faire beaucoup de pré-production avant qu’on le montre à Eric Ratz. Comme on ne savait pas quelle liberté on aurait dans les studios avec le Covid, j’ai voulu faire un travail le plus propre possible – tu te souviens quand je te disais que je micro-manage tout ?
PL : Au final ça t’a plutôt servi cette fois ! Tu as envisagé de vous passer de producteur ?
JC : Non, car c’est toujours bon d’avoir cette 4ème paire d’oreilles qui juge notre travail. Il nous a fait des suggestions par-ci, par-là, mais il a surtout travaillé notre son. Il sait comment faire bien sonner une batterie, il est excellent pour trouver les meilleurs réglages de guitares. Ce n’est pas un producteur qui va te la jouer « Je vois du bleu… » quand tu as fait vert. On n’est pas comme ça, on est canadiens, les pieds ancrés dans le sol.
PL : As-tu senti que cette manière de travailler a eu un impact sur le son final de l’album, par rapport aux précédents ?
JC : Non. Je pense que si ça a aidé à une chose, c’est à le rendre plus cohérent. Tu as le temps de choisir les titres que tu vas y mettre (NDLR: plus de 40 titres ont été enregistrés et seulement 11 retenus), tu retiens les meilleures versions de chaque idée, et tu continues à écrire sans sur-travailler chaque titre. Je pense que les pistes que nous avons retenues pour l’album fonctionnent bien ensemble, elles s’enchaînent bien.
PL : Après tant d’années à tourner, est-ce que ce n’était pas reposant aussi de rester à la maison ?
JC : Je vais être honnête, j’en ai vraiment profité et ça ne m’a pas gêné du tout. J’ai pu lire des livres que je voulais lire depuis longtemps. Et au début de la pandémie, je me suis mis à la course à pied, pour la première fois en 25 ans. C’est devenu ma nouvelle passion ! Je dors 8h par nuit, c’est fantastique ! C’est agréable d’avoir un peu de routine quand tu n’en as pas du tout. Mais je peux voir comment ça peut devenir un poids dans ta vie si ta routine finit par te définir et sucer l’âme de ta vie.
PL : Comptes-tu continuer à courir quand tu reprendras la route ?
JC : Oh oui, je suis devenu accro. Quand on commencera la tournée, et j’en parlais avec un ami récemment, je ferai peut-être des annonces du genre « demain je suis à Lyon, quelqu’un veut venir courir à 19h ? » Je ne cours pas pour la performance, juste pour moi. Soyons honnête, je ne savais pas vraiment ce que je faisais au début, mais quand j’ai commencé à pouvoir enchaîner 7, 10, 15km, je me suis renseigné sur tous ces concepts comme les zones de fréquence cardiaque aérobie et de seuil… Tu as l’impression de tout recommencer à zero, mais au bout de 6 mois tu sens la différence, et je peux te dire que ça va m’aider aussi pour la scène !
PL : En as-tu profité pour revoir ton équipement, ou vas-tu rester fidèle à ton combo Sandberg / EBS ?
JC : Oh, ce combo, je l’adore, il est là pour rester. J’ai enregistré Power Trio avec la Sandberg, et j’ai testé le nouveau Reidmar 750 d’EBS. C’est une tête d’ampli portable qui t’envoie 750W, et je crois que c’est l’ampli le plus puissant que les gars au studio aient jamais entendu, bien qu’elle soit transportable. Je pense que Lemmy l’aurait adorée (rires) !
PL : J’imagine que tu es impatient de retourner sur scène ? Tu peux nous parler de la tournée à venir ?
JC : Oui, j’ai hâte. On a commencé à jouer quelques dates, donc avec un peu de chance on pourra continuer. On part en tournée l’année prochaine, d’ailleurs on sera à Paris au NF-34 le 28 mai 2022 (NDLR: ancien Nuits Fauves, sous la Cité de la Mode et du Design).
PL : Pour finir, quel groupe ou artiste Pozzo Live devrait interviewer après toi ?
JC : Pour le Canada, je te recommande d’aller écouter les OBGMs, c’est un group punk vraiment super. Et d’Italie, regarde du côté de mes bons amis de judA.
PL : Merci de nous avoir accordé de ton temps. On a hâte de vous retrouver sur scène !
JC (en français) : Merci, et la prochaine fois nous faisons du course à pieds ensemble ! Je suis d’origine italienne, je comprends le français mais c’est pas très bien pour parler (rires).
Un grand merci à John Calabrese pour sa gentillesse et son temps, et à Replica Promotion pour avoir arrangé l’interview. L’album Power Trio sort le 27 août sur toutes les plateformes.
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