Dream Theater est sans aucun doute le groupe qui m’a réellement plongé dans le Metal, et m’a fait tomber amoureux de sa version progressive. Inutile de vous dire que j’étais aux anges lorsque l’on m’a annoncé que l’immense John Petrucci, guitariste et tête pensante du groupe, était disponible pour une interview dans le cadre de la sortie de son second album solo : Terminal Velocity ! Ce dernier sera disponible sur toutes les plateformes de streaming le 28 août, et en CD et vinyle le 30 octobre, du fait des retards pris suite à la crise sanitaire actuelle.

Le temps imparti n’est que de 20 minutes, l’intéressé étant très demandé. Ainsi, nous commençons l’interview immédiatement dans le vif du sujet : Terminal Velocity.

 

PL : Quand tu composes un album, est-ce que tu le fais comme une chose entière, un tout, ou est-ce que tu écris les titres séparément en voyant comment tu peux les organiser ensuite ?

JP : Je les écris séparément. Pour Terminal Velocity, cinq titres étaient nouveaux et quatre autres avaient été écrits avant donc je ne l’ai pas construit comme un concept-album où tous les morceaux seraient reliés ou connectés.

PL : Tu dis que tu avais déjà écrit quatre chansons. De quand est-ce que cela date ? 

JP : En fait, l’une des chansons, Gemini, est un très vieux morceau qui date des années 90 quand je jouais en clinic [une guitar-clinic est un lieu où un musicien joue devant un public restreint qui peut ensuite lui poser des questions sur son style de jeu et ses techniques, un peu comme un showcase]. Je n’ai pas réussi à faire d’enregistrement qui me convenait à l’époque, mais c’est pourquoi certaines personnes connaissent déjà ce titre ! Mais d’autres morceaux comme The Way Things Fall, Glassy-Eyed Zombies et Happy Song sont plus récents puisque je les ai composés dans ces cinq dernières années. J’ai d’ailleurs joué plusieurs de ces titres en live, principalement Glassy-Eyed Zombies et Happy Song, avec le G3 donc les gens qui étaient présents les reconnaîtront.

PL : C’est drôle que Gemini soit si vieille, car c’est l’un de mes titres préférés de l’album ! Cette section acoustique au milieu…

JP : Cool ! C’est la plus ancienne et comme je te disais, j’ai fait beaucoup de guitar-clinic avec plusieurs morceaux que j’avais composés de mon côté. Mais celui-ci, je l’ai toujours adoré et apparemment il plaisait aussi au public donc je m’étais dit qu’un jour je l’enregistrerai !

PL : Comme sur Suspended Animation, ton premier album, Dave LaRue est présent à la basse. Après toutes ces années, était-ce différent de travailler à nouveau avec lui ?

JP : Tout d’abord, je suis vraiment ravi d’enregistrer à nouveau avec Dave. Et tu sais, Dave n’a pas fait seulement cet album solo avec moi : nous avons tous deux fait beaucoup de tournées avec le G3. Il me répétait sans arrêt « quand tu referas un album solo, engage-moi ! », et j’ai promis qu’il y participerait. C’était donc merveilleux de l’avoir à nouveau pour Terminal Velocity. Malheureusement, à cause de la pandémie, il a dû tout enregistrer de son côté, chez lui en Floride puisque j’habite à New York. On n’a donc pas vraiment pu tout faire ensemble contrairement à Suspended Animation. C’était donc un peu différent, mais Dave a fait un travail incroyable, comme toujours.

PL : Donc vous avez tous enregistré vos parties chacun de votre côté ?

JP : En fait, j’ai écrit et enregistré toutes les sections de guitare, et j’ai programmé la batterie. Donc quand j’ai envoyé les différentes sections aux autres, ils n’avaient plus qu’à les apprendre. Mike ne vit pas très loin de chez moi puisqu’il habite en Pennsylvanie. Il a donc pu venir à mon studio où nous avons passé six jours ensemble à jouer et à nous enregistrer.

PL : À propos de Mike Portnoy justement, ça faisait longtemps que vous n’aviez rien fait ensemble. Comment cela s’est passé ?

JP : C’était incroyable. Tu sais, nous sommes des amis de longue date et nos familles sont très proches donc nous sommes restés en contact ces dix dernières années [Mike Portnoy a quitté le groupe Dream Theater en 2010, après l’enregistrement de Black Clouds & Silver Linings]. Comme tu l’as dit, nous n’avions rien fait ensemble qui soit en rapport avec la musique depuis longtemps, et on s’est bien amusés ! Mike fait du très bon boulot. Il apprend les pistes que j’ai composées mais ajoute son propre style de jeu et je pense qu’il améliore vraiment l’ensemble. Tout comme Dave d’ailleurs. Je pense que lorsque l’on écoute Terminal Velocity, on a vraiment l’impression d’un groupe qui joue ensemble, même si ça n’a pas été le cas.

PL : As-tu songé à ajouter du chant sur ton album, ou penses-tu qu’il aurait moins été « le tiens » ?

JP : Pas vraiment. J’ai toujours eu à l’idée un album solo instrumental de guitare sans invités, que ce soit au chant ou sur les instruments. Sur cet album solo comme sur le précédent, je veux que les gens entendent ce que j’ai à proposer en tant que guitariste. Je sais que beaucoup de personnes aiment voir des invités, sur les solos ou le chant par exemple, et c’est très bien aussi. Mais pour moi, du fait de Dream Theater qui tourne beaucoup autour des paroles, du chant et des orchestrations, je voulais vraiment un album solo qui me reflète en tant que musicien. Ciblé sur la guitare.

PL : Est-ce que, selon toi, Terminal Velocity est un album qui vise principalement tes fans ?

JP : Absolument, c’est ce que j’ai voulu faire. Mes fans sont vraiment géniaux : ils avaient très bien reçu Suspended Animation et me demandaient à chaque interview et rencontre quand est-ce que j’allais sortir à nouveau un album solo. Ça a pris du temps, mais c’est quelque chose que je voulais vraiment leur donner, leur partager. C’était un objectif que je m’étais fixé. Terminal Velocity est un album de remerciement à tous mes fans pour les retours positifs qu’ils m’ont donnés après le premier. Tu sais, j’ai fait beaucoup de choses avec Dream Theater et que les gens veuillent aussi entendre ce dont je suis capable seul est un réel honneur. Donc oui c’est vraiment un album pour les fans et toute la communauté des guitaristes.

PL : Comme dit précédemment, il n’y a pas de paroles sur l’album, mais y-a-t-il un sujet ou un thème sur tes morceaux ?

JP : Non je ne pense pas, elles sont toutes individuelles. Ce que j’aime quand j’écris des titres instrumentaux, c’est de m’assurer qu’ils restent intéressants. En effet, comme tu l’as dit il n’y a pas de chant donc il faut que j’assure tout du long et que je veille à ce qu’il y ait de bonnes mélodies et des variations de jeu qui gardent le public intéressé jusqu’au bout. Même en jouant du blues comme sur Out of the Blue, j’essaie de garder ma patte et d’emmener l’auditeur vers quelque chose auquel il ne se serait pas attendu. C’est mon objectif principal je dirais.

PL : La chanson Snake in my boot débute avec un riff très hard-rock. Quels sont les groupes ou les genres musicaux qui t’ont influencé dans ta carrière ?

JP : Pour cette chanson en particulier, j’ai été très influencé par Joe Satriani et Brian May. Je voulais un morceau avec une seule guitare qui fasse tout, et ce morceau est né : il n’y a pratiquement que de la guitare tout du long. Je pense que c’est un titre qui sera assez fun en live. Pour le reste, je suis très fan de Rush, Yes, Ozzy Osbourne, Iron Maiden, Metallica, etc. Mais oui comme je te disais, pour Snake in my boot j’avais vraiment en tête Queen et Satriani.

PL : As-tu joué ce morceau avec le G3 ?

JP : Non pas du tout, c’était simplement une idée que j’avais depuis longtemps. Un riff rock très simple, mais je ne l’avais jamais joué auparavant. J’ai pensé que ce serait un morceau différent et sympa pour l’album.

PL : Effectivement, c’est une musique différente. La première fois que j’ai écouté l’album, c’est le premier morceau à m’avoir vraiment marqué car il sortait du lot de par sa construction. Je l’adore, et c’est certainement mon titre préféré avec Gemini. Comme tu disais, c’est un riff simple, mais très efficace !

JP : Oh super ! Donc tu aimes les musiques différentes. Je suis content de l’avoir intégrée à l’album alors ! Rires Ça me fait plaisir d’avoir de bons retours dessus. L’album dure à peine une heure, et c’est important d’avoir de la variété. Qu’un ou plusieurs titres suscitent ta curiosité et te gardent à l’écoute, même si tu es en train de conduire ou de faire du sport à ce moment-là par exemple.

PL : As-tu en tête une tournée de ton projet solo après la crise de la covid, ou bien faire des concerts en streaming ?

JP : Non je n’ai pas vraiment imaginé cela de cette manière. Tout d’abord, la date de reprise des concerts est très incertaine, et lorsqu’ils reprendront, ma priorité sera de tourner avec Dream Theater [le groupe annonçait le 7 août dernier préparer un nouvel album]. Cet album, c’était vraiment pour moi l’occasion de donner de la musique à mes fans. Maintenant, si l’opportunité se présente lors d’un tour avec le G3 par exemple, j’aurais ces titres supplémentaires à jouer. Mais je n’ai jamais pensé faire une tournée pour Terminal Velocity.

PL : Et pourquoi ne pas jouer des parties de ces morceaux pendant un solo sur une tournée de Dream Theater par exemple ?

JP : Je n’y avais pas pensé, mais c’est une bonne idée ! Rires

Terminal Velocity

PL : Passons maintenant à des questions plus générales sur toi et tes opinions. Tu es l’un des guitaristes de Metal Progressif le plus connu au monde. Est-ce que cela influence ton jeu ? Je veux dire, est-ce que tu te sens enfermé dans ce genre ?

JP : J’écris le genre de musique qui me parle, dans lequel je me sens bien. Je compose un style de musique qui me vient naturellement. Même à mes débuts quand j’étais plus jeune, j’écrivais et je jouais des musiques du même genre. Je ne me sens vraiment pas dos au mur sur ce point. Et même pour mon album solo : comme tu l’as dit, il y a des choses différentes du Metal Progressif. Des parties rock, blues, jazz, acoustique… C’est vraiment fun de jouer à peu près tous les styles, donc non je ne me sens vraiment pas enfermé dans un genre !

PL : On dirait que tu sais tout jouer à la guitare. Y a-t-il cependant toujours des riffs qui peuvent te poser des difficultés ?

JP : Oh oui ! Tout d’abord, je ne sais pas tout jouer à la guitare. Rires Je fais de mon mieux, mais il y a toujours des choses qui sont difficiles. En particulier sur cet album, il y a beaucoup de morceaux sur lesquels j’ai dû revoir mon approche et vraiment m’entraîner. Si je dois les jouer sur scène, il va vraiment falloir que je m’entraîne ! Donc oui il y a toujours des riffs qui me posent problème, et je pense que c’est ça qui est intéressant quand tu créés de nouvelles musiques : de parvenir à te dépasser. Je ne voudrais jamais que quelqu’un, en m’écoutant jouer, se dise « oh il a abandonné, c’est ennuyant, il n’essaie pas d’aller au bout… ». Je ne veux surtout pas ça. Je donne le meilleur de moi-même et je me fixe des défis sur des choses que je ne sais pas jouer. Je pense que les gens, lorsqu’ils écoutent de la musique, y portent une grande attention et ça me touche.

PL : C’est bien que tu me parles de ce à quoi s’intéressent les gens quand ils écoutent de la musique, car ma prochaine question concerne un peu ce point. En effet, j’entends souvent des personnes dire que le Metal Progressif n’est que de la démonstration technique sans âme, sans émotions. Qu’en dis-tu ?

JP : Je ne pense pas que ce soit un bon argument. Je pense que lorsque quelqu’un s’exprime musicalement, il transmet forcément des émotions, que son jeu soit technique ou non. Le type de musique que j’aime composer, écouter et jouer est assez varié, que ce soit sur mon album solo ou avec Dream Theater. Bien sûr, il y a des parties techniques pour lesquelles c’est vraiment amusant de pouvoir jouer rapidement, faire des choses difficiles etc. C’est comme conduire une voiture de course. Mais si tu fais ça tout le temps, la musique est ennuyante. J’ai toujours aimé qu’il y ait des émotions, des moments improvisés, crus, vrais. Ils permettent d’assurer des moments forts, auxquels les gens peuvent s’attacher, ressentir les sentiments du musicien à ce moment. Le but, c’est de donner envie aux gens d’écouter cette musique en fonction de leur état. Qu’ils se disent « je dois conduire, je vais écouter cet album », ou « je n’ai pas le moral, je vais écouter celui-ci », etc. La musique doit être intéressante émotionnellement, et pas seulement technique. Il y a des chansons tournées uniquement sur la technique, et chaque fois je me dis  « non je n’ai pas envie de l’écouter à nouveau ». Parce que ce n’est pas très intéressant en définitive, personne n’a envie d’écouter une musique qui le fatigue.

PL : Que penses-tu du chemin que prend le Metal Progressif ces dernières, avec notamment l’arrivée du Djent ?

JP : Je pense que c’est bien. Mon neveu Jake joue pour Periphery et je suis vraiment très fier d’eux pour avoir lancé le genre [Periphery, comme Meshuggah par exemple, fait partie des créateurs du Djent. Le terme djent aurait d’ailleurs été lancé par Misha Mansoor, fondateur du groupe]. Quand j’ai commencé avec Dream Theater, on ne parlait pas encore de Metal Progressif. Maintenant cela existe, et c’est énorme ! Le genre regroupe une grande variété de styles, et tous ces musiciens sont incroyables. Ils font du super boulot, et j’adore ça.

PL : Avec la covid, tu dois avoir beaucoup de temps libre. Beaucoup d’entre nous t’imaginons passant tes journées à jouer de la guitare et à composer, mais que fais-tu vraiment pour te reposer et décompresser ?

JP : Eh bien, c’est l’été en ce moment à New York. On a eu une tempête hier [la tempête Isaias a frappé la ville le 4 août dernier] donc ce n’est pas la meilleure période. Mais en dehors de ça, c’est un bel été : je suis chez moi avec ma famille et on passe beaucoup de temps ensemble. On a une super piscine dans le jardin… Rires Nous faisons tout ce qu’une famille « normale » fait. Évidemment c’est un peu particulier en ce moment car on ne peut pas sortir au restaurant, ou aller au cinéma mais on passe de bons moments à la maison. Et effectivement je passe beaucoup de temps à jouer de la guitare et à composer de la musique !

PL : Pour finir, une dernière question que nous posons systématiquement lors de nos interviews chez Pozzo Live : qui aimerais-tu que l’on interviewe ensuite ?

JP : Voyons voir… C’est une bonne question… Je n’ai rien entendu à propos de Alex Lifeson, de Rush, depuis un moment !

PL : J’aimerais énormément faire cette interview !

JP : Ce serait formidable !

 

Ainsi terminent ces 20 minutes d’interview en compagnie de l’un des fondateurs du Metal Progressif. Un immense merci à John Petrucci pour sa gentillesse, ainsi qu’à Roie, son attaché-presse, pour nous avoir donné cette occasion d’interview ! Si vous souhaitez précommander Terminal Velocity, rendez-vous sur le site officiel de John Petrucci.

Vous pouvez retrouver toutes nos interviews ici. Pour nos chroniques, ça se passe .

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