En ces temps de covid-19 et de confinement, il est bien difficile pour les amateurs de musique de se contenter des réseaux sociaux et les plateformes d’écoute en ligne, loin des concerts et de leurs ambiances uniques qui font aussi le sel de la musique. Dans cette morosité ambiante, Pozzo Live a eu la chance de retrouver le sourire avec Kevin Ratajczak, claviériste et co-chanteur d’Eskimo Callboy. L’occasion de sortir son plus beau mulet avec le plus swag des groupes de metal.
Pozzo Live : Hallo* Kevin ! Comment vas-tu ?
Kevin Ratajczak : Hallo ! Ecoutes, je vais plutôt bien. Les concerts et les tournées me manquent beaucoup, mais d’un autre côté ca laisse beaucoup de temps pour faire autre chose, pour travailler sur nos futurs sons et notre prochain album. En plus je dors peu, en ce moment, car je viens d’être papa, et le sommeil est souvent agité ! Être à la maison a aussi de bons côtés, car quand on est en tournée, on a beaucoup de choses en tête et de trucs à faire, pour chaque concert, alors qu’en ce moment c’est plus calme et donc on peut prendre le temps de faire les choses.
PL : Oui, le contexte actuel change beaucoup de choses et n’est simple pour personne.
KR : C’est clair ! Mais il faut s’adapter à ce virus de merde. Ca allait mieux au printemps dernier car tout cela paraissait encore assez lointain, on en était qu’aux débuts. On en entendait parler dans les médias, mais ici en Allemagne on était pas trop confrontés directement au virus, dans notre quotidien. Aujourd’hui c’est différent, ca nous semble beaucoup plus proche, c’est beaucoup plus dur. Un des gars du groupe a eu un proche de malade, par exemple. On se sent vraiment plus concernés qu’au printemps. Et puis on voit les hôpitaux pleins, qui demandent de l’aide, et à côté de çà des gens qui adoptent des comportements irresponsables, qui se réunissent pour faire la fête, sans masque, gâchant tous les efforts des derniers mois. On en voit même accuser le gouvernement d’avoir créé cette situation, c’est dingue ! Je pense qu’on devrait plus penser aux autres et se serrer les coudes, pour s’en sortir tous ensembles, et pas les uns contre les autres.
PL : Vous aviez rencontré Pozzo Live fin 2019, juste après la sortie de votre dernier album, Rehab, et donc avant les débuts de la pandémie. Que s’est-il passé depuis ? Comment avez-vous vécu cette année 2020 ?
KR : Et bien on a eu beaucoup de temps à la maison et en studio, c’est certain, et franchement je pense qu’on a bien su l’exploiter. Comme tu le sais, après la sortie de Rehab nous avons malheureusement vécu la séparation avec Sebastian, qui était notre chanteur depuis toujours, et donc avant de bosser sur quoique ce soit de nouveau, il nous a fallu surmonter çà puis se mettre en quête d’un nouveau chanteur. Cela nous a pas mal occupé, à vrai dire ! La période était propice aux réflexions et aux remises en question, car Eskimo Callboy était notre bébé à tous, ce pour quoi on avait travaillé dur depuis presque dix ans, et il était en danger. Personne ne savait vraiment quoi faire, entre continuer tel quel, changer ou même tout arrêter. Chacun est parti de son côté pour les fêtes de fin d’année, pour se changer les idées, et nous nous sommes retrouvés début janvier en studio, sans vraiment savoir quoi faire, si ce n’était pour jouer et se faire plaisir. C’est là par exemple qu’on a composé MC Thunder II. On avait besoin de s’amuser et de retrouver le sourire. En parallèle, on cherchait toujours un nouveau chanteur, et c’est là qu’on a trouvé Nico. On l’a fait venir au studio et tout a changé. On a composé Hypa Hypa, et là, c’était reparti ! C’était une vraie renaissance, pour nous, après des temps difficiles. Nous avons enchaîné les séances de travail et MM XX était né ! Depuis, le covid-19 est passé, nous avons du rester à la maison avant d’enfin pouvoir ressortir au bout de quelques semaines, et depuis nous essayons de nous adapter à l’absence de tournées et de concerts en étant notamment très actifs sur les réseaux sociaux, et en travaillant sur un futur album.
PL : Justement, tu parlais de cette séparation avec votre frontman de toujours, Sebastian. Peux-tu nous en dire un peu plus ?
KR : Tu vois, on avait mis beaucoup de nous-mêmes dans Rehab, que personnellement je considère comme une petite oeuvre d’art et comme un morceau de l’âme d’Eskimo Callboy. Tout ceci a demandé de gros efforts et de gros investissements, ce fut une période vraiment éprouvante. Et suite à çà, nous avons commencé à connaître de plus en plus de divergences entre certains mecs, sur la suite et sur les directions que nous voulions prendre. C’est devenu compliqué pour tout le monde, et la situation nous a mené à cette décision vraiment difficile de prendre des chemins différents.
PL : Avant de parler musique et pour aborder un sujet plus léger, je dois dire que je te suis pas mal sur les réseaux sociaux et tu sembles mener une vie très active. Alors, qu’est-ce que Kevin fait quand il n’est ni sur scène, ni au studio ? Quel mec es-tu en dehors d’Eskimo Callboy ?
KR : Ca c’est une bonne question ! Tu sais, Eskimo Callboy est quand même une part très importante de ma vie, car avant j’avais un job classique, je menais une vie normale, et aujourd’hui je vis beaucoup pour le groupe. Quand tu as un job « normal », tu passes tes journées au bureau, tu es focus sur ton boulot mais quand tu rentres le soir, généralement, tu déconnectes et tu passes à autre chose. A l’inverse, quand tu es dans la musique, ou plus généralement sur un job artistique, un job de création, tu ne peux pas vraiment t’arrêter ou déconnecter totalement. Parfois, on passe la journée au studio, à essayer pendant des heures de créer un morceau qui terminera finalement à la poubelle, et au moment de rentrer à la maison, tu as d’un coup une super idée qui t’oblige à rester et bosser dessus, car sinon elle risque de se perdre ! Après, quand je suis à la maison, j’essaie quand même d’être plus calme, plus tranquille et de m’occuper de ma famille, bien sûr. Je n’ai pas toujours été comme cà ! Plus jeune, j’étais un sacré fêtard, et je le suis resté avec Eskimo Callboy, qui m’a permis de faire encore plus de fêtes et de soirées, mais par contre quand je suis en dehors du groupe, j’essaie maintenant d’être plus cool et je me satisfais de trucs simples, comme les jeux vidéos, quand je n’ai pas grand chose à faire. J’adore aussi voyager, et avec ma femme, et maintenant mon fils, on a prévu de continuer à bouger. J’aime vraiment découvrir de nouveaux pays, de nouvelles cultures, et rencontrer les gens. Tu sais, Eskimo Callboy m’a appris une chose importante sur la vie, c’est que tu peux lire, apprendre ou aller à l’école autant que tu veux, ce qui t’éduque et t’apprend le plus, c’est de rencontrer des gens et d’échanger avec eux.
PL : Avant de parler de MM XX à proprement dit, il faut que je te demande quelque chose sur votre musique et votre processus de création. Parce que la réaction de beaucoup de gens quand ils écoutent vos chansons et voient vos vidéos, comme Hypa Hypa, c’est « WTF ? D’où sortent-ils tout cà ?« . Alors Kevin, éclaire un peu nos lanternes (rose fluo), s’il te plaît !
KR : (rires) En fait on est toujours en train de tenter des trucs, de tester et de se lancer sur pleins d’idées. Tout ne sont pas bonnes, bien sûr ! Au moment où je te parle, tu vois, Daniel (ndlr : Daniel Haniß, le guitariste) est d’ailleurs derrière cette porte, dans le studio, en train de s’entraîner et de réfléchir à de nouveaux trucs. On travaille par exemple avec VST (ndlr : Virtual Studio Technology, un outil informatique pour la musique) pour essayer de trouver de nouvelles sonorités et de nouveaux mélanges à exploiter, des effets digitaux sympas ou des breakdowns qu’on pourrait ensuite mêler à des sons plus « metal ». C’est la base du travail d’Eskimo Callboy. Quand l’un d’entre nous a une idée, il l’a met dans notre dropbox commune, ensuite on en discute et enfin les chanteurs prennent le relai. On voit si ce son nous inspire quelque chose, un ressenti, une émotion, et si on peut y apposer des paroles et du chant pour en faire une ébauche de chanson. Pour certains morceaux, comme Hypa Hypa, ca va très vite ! Tu as vu le refrain, c’est simple mais ca fonctionne et ca reste en tête, c’est facile de s’imaginer plein de trucs autour, avec cette ambiance de club et de soirée. A l’inverse pour d’autres, comme Hate/Love, c’est plus long car ca ne vient pas aussi naturellement, ca demande plus de boulot pour trouver les bonnes paroles et les bons accords qui tombent bien. J’adore bosser sur les deux, même si ce n’est pas le même plaisir. Parfois nous ne sommes pas d’accord, aussi. Par exemple, les mecs détestent mais quand j’ai une idée en tête, je les harcèle et leur rabâche « hey, ton idée est pas mal mais pour qu’elle matche avec la mienne, faudrait que tu changes ceci, qu’on modifie cela« …etc. Et généralement, à la fin on arrive à obtenir un résultat bien cool qui plaît à tout le monde ! C’est aussi çà le plaisir de jouer en groupe !
PL : Parlons maintenant de ce nouvel EP, MM XX, qui semble très différent de Rehab, qui se montrait beaucoup plus sérieux et profond. Qu’en est-il ?
KR : Ce qu’il faut savoir c’est qu’à la base, on avait initialement prévu de réaliser un album complet plutôt qu’un EP. Mais voilà, entre fin 2019 et début 2020, nous avons changé de chanteur, puis le covid est arrivé, et finalement tout le monde s’est retrouvé chez soi, déprimé et dépité, sans tournée ni même studio, pendant un moment. Or il faut du temps pour composer un album complet digne de ce nom, et dans ce contexte, nous n’aurions rien pu sortir avec 2021. Sauf qu’on avait vraiment pas envie d’attendre une année entière pour se remettre au boulot et surtout pour introduire Nico. On a donc décidé de partir sur un « mini-album » avec des chansons très différentes mais qui montreraient toutes à quoi ressemblerait le « nouveau » Eskimo Callboy. On a remixé d’anciennes chansons, on en a créé de nouvelles, et chacune avait quelque chose de spécial, pour nous, même si de manières différentes. C’était vraiment la meilleure combinaison pour montrer ce à quoi ressemblerait Eskimo Callboy en 2020. Et puis on avait besoin de se faire plaisir !
PL : En tout cas, c’était personnellement un super remède à la morosité ambiante et cette atmosphère de confinement ! Juste pour çà, merci !
KR : Ah, c’est vraiment cool que tu dises çà car c’est exactement le genre de truc qu’on ambitionnait avec cet EP. Moi aussi, je regarde souvent la vidéo d’Hypa Hypa et ca me redonne le sourire de suite ! C’est vraiment cool !
PL : Après ce morceau de bonheur qu’est MM XX, quels sont les souhaits et les ambitions d’Eskimo Callboy pour les mois et même les années à venir ?
KR : D’abord, c’est clair, c’est de retrouver la scène ! Il faut vraiment comprendre que ce n’est pas seulement notre profession, c’est aussi et surtout notre passion, notre leitmotiv ! Les émotions que tu peux ressentir en live n’ont rien à voir avec celles que tu peux ressentir chez toi ou en studio, derrière ta télé ou ton ordinateur. Et ce que tu sois sur la scène ou devant elle ! On aime écrire, composer des chansons et que les gens les écoute sur Deezer ou Spotify, bien sûr, mais rien de vaut la scène, pour un artiste. La musique est faite pour être jouée et partagée avec les gens, en vrai. En attendant, on essaie de se concentrer sur le contenu d’Eskimo Callboy, en étant très présents sur les réseaux sociaux, en publiant régulièrement du contenu. On a même mis en place une chaîne de gaming ! Et puis on bosse dur sur notre prochain album, en étant presque tous les jours au studio. C’est ce qui nous occupe le plus, en ce moment. Mais la scène nous manque car on ne peut plus aller à la rencontre des fans, leur taper dans les mains ou même partager une bière avec eux comme on aime le faire. On essaie de compenser en faisant des lives sur Instagram, en publiant des making-of, et peut-être bientôt en proposant des concerts en streaming.
PL : En attenant votre retour sur scène, à commencer par la France, qu’est-ce que tu pourrais nous conseiller d’écouter comme morceaux ou comme artistes ? Et même à interviewer ?
KR : Une question difficile ! J’écoute beaucoup de choses différentes, mais je suis surtout un très grand fan de hard music, de trucs vraiment vraiment hard et electro. Dans ce style, il y a un groupe américain que j’aime particulièrement, c’est Riot. Ils combinent electro et metal, mais là où nous mettons un peu plus l’accent sur le metal, eux le mettent plus sur l’electro. J’écoute souvent leur titre Overkill avant de monter sur scène, ce ma donne la pêche ! Il y a aussi Alpha Wolf, un groupe australien, je crois. Et Eminence.
PL : De mon côté, je ne sais pas si tu connais mais il y a un groupe français que tu devrais aimer car ils font du metal parodique et sont un peu dans le même mood que vous, c’est Ultra Vomit. C’est différent d’Eskimo Callboy mais c’est tout aussi fun !
KR : Je ne connais pas mais j’adore ce genre de groupe, donc je le note et j’écouterai avec plaisir !
PL : Nous approchons de la fin, et pour terminer cette interview je te propose un petit jeu qui s’appelle « Tu préfères ?« . Laisse moi juste me coiffer de ma plus belle coupe mulet pour te le présenter.
KR : (rire) C’est magnifique ! J’adore ! Je vais me mettre en conditions aussi (il change de pièce)
PL : Prêt ? C’est parti ! « Schalke 04 » ou « Dortmund » ?
KR : (rire) Ah ! Schalke est vraiment mon club de coeur, et je vais me faire des ennemis parmi mes potes, mais malheureusement ca devient difficile d’être un de leurs fans, en ce moment, car ils sont vraiment mauvais (ndlr : Schalke est actuellement dernier de Bundesliga) ! Mais « Schalke » quand même.
PL : « Jouer du piano » ou « chanter » ?
KR : Très dur aussi, comme question, car sur scène, j’adore chanter. Ca te permet de communier encore plus avec le public et au niveau des sensations, c’est dingue ! Mais d’un autre côté, jouer à ta femme un morceau romantique de piano à la maison, c’est quelque chose de génial. Et pour çà je vais dire « jouer du piano« .
PL : « Electro » ou « metal » ?
KR : « Metal » !
PL : « Chiller avec tes chats » ou « faire du kite-surf à l’océan » ?
KR : J’adore mes chats, mais… »kite-surf » !
PL : « Soirée romantique avec ta femme » ou « soirée débile avec tes potes » ?
KR : Alors tu sais, ma femme n’est pas la dernière en matière de soirées, et elle participe souvent ! Elle est même parfois pire que moi ! Donc laisse moi remodeler ta question : « Soirée débile…avec ma femme et mes potes » !
PL : « Randonner dans les forêts du Costa Rica » ou « manger des ramens dans les rues de Tokyo » ?
KR : Wooo ! C’est dur ! Les deux sont vraiment géniaux et sont des souvenirs de dingue ! Mais je dirais quand même le Costa Rica car c’est absolument merveilleux à faire.
PL : « Hellfest » ou « Wacken » ?
KR : Oh la la… Les français vont sûrement me détester mais même si nous avons adoré le Hellfest, le Wacken est comme notre maison. Peut-être que si nous pouvons revenir au Hellfest et reprendre autant de plaisir, ca deviendra une égalité. Mais pour l’instant, « Wacken« .
PL : « Coupe mulet » ou « ta coupe actuelle » ?
KR : Ah, « coupe mulet » bien sûr ! J’aimerais m’en faire une, mais ma femme n’apprécie pas trop l’idée… La tienne est géniale, j’adore ! (rire)
PL : Danke schön*, herr Kevin ! On espère à très bientôt sur les scènes, à commencer par la France, s’il vous plaît !
KR : On espère et on croise les doigts ! Merci à toi, merci à tous, et gros bisous**
*en allemand avec mon accent pourri
**en français avec son excellent accent
Merci à Kevin et à Eskimo Callboy pour leur gentillesse, leur simplicité et le temps qu’ils nous ont accordé. Retrouvez notre chronique de l’EP MMXX d’Eskimo Callboy en cliquant ici !
Interview réalisée par Clément T., le 24 novembre 2020.