Le hardcore n’est pas réputé pour sa subtilité. C’est donc avec curiosité que j’ai pu m’entretenir avec Don Foose, chanteur de One Life All-In. Un artiste à la spiritualité très marquée, qui imprègne tout son travail. Il évoque avec nous sa carrière, son approche de la vie, et surtout son dernier projet, One Life All-In, qui vient de sortir un nouvel EP Letter of Forgiveness.
Confinement oblige, l’interview a été réalisée sur Skype. Pardon pour la qualité vidéo un peu inférieure à d’habitude !
Le groupe
Pozzo Live : On voit beaucoup de super-groupes se former ces dernières années. Est-ce qu’on se lasse après 20 ans ou plus de carrière ?
Don : J’ai passé 10 ans avec The Spudmonsters, dans les années 90. Après un certain temps, on en a tous eu un peu marre de l’industrie musicale. On a commencé à gagner de l’argent et on a remarqué qu’à ce moment-là, les promoteurs ont essayé de nous prendre plus, les choses ont commencées à être salies par l’appât du gain. On n’a vraiment pas aimé ça, donc on arrêté de jouer un moment. Scott est allé jouer à New York avec les Cro-Mags, puis Biohazard, les deux Eric ont rejoint Pro-Pain, j’ai créé mon propre groupe Run Devil Run… On voulait juste chacun faire notre truc de notre côté. On s’adorait toujours, et on aimait jouer ensemble, mais ce n’était plus pareil.
Bref, en 2010, The Spudmonsters s’est reformé, et c’était bien à nouveau, après ce break nécessaire. Mais pour répondre à ta question, après Run Devil Run, j’ai voulu recommencer à jouer de la musique juste pour m’amuser, et j’ai fait plusieurs projets annexes. Quand Franco et Clem de Seekers of the Truth m’ont proposé de jouer avec eux dans One Life All-In, c’était cool, et j’ai enfin l’impression de jouer à nouveau dans un vrai groupe, auquel je peux complètement me consacrer. Et je n’avais pas ressenti ça depuis longtemps !
Pozzo Live : Donc c’est un groupe parti pour durer ! On peut espérer écouter un LP prochainement ?
Don : Oui ! Notre 1er EP, The A7 Session, était vraiment juste un projet d’enregistrement, on n’en attendait pas grand-chose en particulier. Mais avec le succès qu’il a rencontré, la bonne réponse du public, notre tournée européenne, beaucoup de gens nous ont dit qu’on devrait continuer. On a écrit plus de chansons, et en écrivant Letter of Forgiveness, on a vraiment senti que ça fonctionnait. Chaque chanson nous semblait vraiment bonne, on a atteint un certain de niveau de confort dans l’écriture collective. Ce qui est marrant, c’est qu’avec ce confinement qui nous est imposé, on a déjà écrit 8 chansons de plus, donc on a presque un nouvel LP complet.
Pozzo Live : Justement, avec toi qui vis à Cleveland, Ohio, et le reste du groupe à Lyon, comment écrivez-vous ensemble ?
Don : Les gars m’envoient des musiques par Internet. J’écris les paroles, je les enregistre dans mon home-studio, puis je les leur envoie et on travaille dessus jusqu’à obtenir ce qu’on veut. Puis je viens à Lyon pour enregistrer avec Thibault Bernard, qui avait déjà travaillé avec nous sur The A7 Session, et on en profite pour faire les vidéos. On s’entend vraiment bien, on s’amuse beaucoup aussi à écrire ensemble ! On est tous assez ouverts d’esprit : ils m’envoient des choses, des fois j’ai des doutes, mais après avoir joué un peu avec je trouve ça vraiment cool. Et parfois, j’adore ce qu’ils me proposent, et au final je n’aime pas trop.
Ce qui est génial, c’est que dans les années 90 tu n’aurais jamais pu avoir un groupe comme ça, répartit entre les Etats-Unis et l’Europe. Tu aurais dû faire des aller-retours en avion sans arrêt. Mais aujourd’hui avec la technologie, tu peux interagir à distance sur Internet, ça facilite beaucoup les choses.
Pozzo Live : A ton avis, qu’est-ce qui rend la musique de One Life All-In unique ?
Don : Je pense que nous avons énormément d’influences, et que nous n’avons pas peur de les incorporer dans notre musique. En fait j’aime vraiment de tout : j’adore Faith No More, Gorilla Biscuits, j’aime Van Halen, Judas Priest, Fleetwood Mac, les Beastie Boys… Je n’ai pas envie que nous soyons un groupe prédictible : couplet, refrain, couplet, refrain, solos, fin… On l’a tous fait, j’ai fait 14 albums comme ça. Depuis One Life All-In, c’est un processus créatif où on n’est plus attachés à un style. Donc du moment que c’est de la bonne musique, c’est du One Life All-In.
Pozzo Live : On entend une forme de libération dans ce que tu dis, non ?
Don : Tout à fait ! Je ne sens plus que j’écris pour faire plaisir à un label, ou parce que les « fans » l’attendent. On écrit juste parce qu’on veut se faire plaisir et écrire des bons titres, qu’on aime. Donc si quelque chose sonne comme Sick of it All, puis qu’au milieu ça sonne comme Faith No More, et que ça finit en du Public Ennemy… mec, c’est pas grave ! On veut juste écrire des choses qui nous plaisent, et si les gens ne comprennent pas ce qu’on fait, ce n’est pas grave… nous on comprend !
Le message
Pozzo Live : Un de vos traits caractéristiques, ce sont ces paroles criées par tout le groupe. Elles étaient déjà là sur The A7 Session et vous les soulignez même en majuscules dans le livret. D’où est-ce que ça vient ?
Don : Ça a commencé quand j’étais enfant et que j’écoutais Kiss en live. Ils avaient ces backing vocals très puissants, tu sais : « I Love it LOUD, I want to hear it LOUD, RIGHT between the eyes ! » Ça m’a marqué, j’ai trouvé ça vraiment cool. Je me suis toujours dit qu’insister sur des parties du morceau lui donne des variations d’intensité. Si tu étudies la théorie musicale, tu sais que c’est une question de flux et de reflux : il faut créer des accentuations, et les casser ensuite. Tu ne peux pas tout le temps jouer « à fond, à fond, à fond », il faut des changements de tempo, des grooves… Les backing vocals insistent sur certaines parties. Si tu mets de l’emphase avant de passer d’une partie rapide à une partie lente, ça rend cette partie lente encore plus prenante et cool.
Pozzo Live : Tes paroles sont très fortes. Est-ce que tu essaies de faire passer des messages à travers elles ?
Don : Oui, j’essaie toujours d’écrire des chansons très positives. J’essaie d’écrire des chansons qui ont un but, du sens. J’essaie d’écrire sur les difficultés de la vie, mais sur la manière positive de les affronter. Par exemple, la chanson Discharge parle des enfants qui se font martyriser, et je veux qu’ils sachent que quelqu’un sera là pour eux, que nous, nous allons les défendre. En tant que société, nous nous devons de défendre ceux qui ne peuvent pas se défendre seuls, qui sont faibles, qui peut-être ne peuvent pas faire entendre leur voix. On doit s’entraider, s’aimer les uns les autres. Nous parlons de répandre l’amour, la paix, et la bonne volonté.
Pozzo Live : Est-ce que tu t’adresses à Dieu dans cet album ?
Don : Letter of Forgiveness est une lettre ouverte à Dieu que j’ai écrite pour demander pardon pour les mauvaises décisions que j’ai prises dans ma vie, mais aussi pour le remercier du fait qu’il ne m’abandonnera jamais, qu’il ne m’enverra jamais balader, tu vois ? C’est intéressant, car je suis le membre du groupe qui a une pratique religieuse. En 1995, je vivais dans un temple de Hare Krishna, je pratiquais la Conscience de Krishna. J’ai toujours incorporé des paroles positives dans mes groupes. Je n’ai jamais eu de groupe de Krishna-core, ou religieux, et c’est la même chose avec celui-ci, j’écris en toute liberté.
C’est ce qui est bien dans un groupe, chacun a son truc : j’ai mon truc, Franco a le sien, Clem, Kevin… Aucun d’entre eux n’a de pratique religieuse, mais ça ne m’empêche pas de dire ce que je ressens et mon point de vue sur la vie. Mes chansons sont toujours écrites pour qu’elles puissent vouloir dire autre chose pour quelqu’un d’autre. J’essaie de ne jamais faire une chanson sur une seule chose précise. Tu pourrais prendre Discharge ou Letter of Forgiveness et en avoir ta propre compréhension selon tes propres valeurs.
Pozzo Live : J’avais plutôt pris Discharge comme un reproche aux systèmes politiques …
Don (souriant) : Si c’est ce qu’elle veut dire pour toi, c’est bien ! C’est ce que j’ai toujours aimé, quand un auteur écrit une chanson et que tu ne sais pas nécessairement de quoi il parle. Il pourrait vouloir dire ce que toi tu y mets. C’est une bonne chanson quand quelqu’un peut en retirer ça.
Pozzo Live : La spiritualité joue-t-elle un rôle important dans ta vie ?
Don : Oui, oui. En 1995, mon groupe The Spudmonsters a fait une tournée avec les Cro-Mags, et John-Joseph, leur chanteur, m’a initié à la Conscience de Krishna. Donc je m’y suis mis, j’ai commencé à lire sur le sens de la vie. J’ai voulu savoir pourquoi il arrive des mauvaises choses aux personnes qui sont bonnes, et pourquoi y a-t-il autant de souffrances dans le monde, ou encore pourquoi sommes-nous ici ? Comment se fait-il que tu doives dormir toutes les 12 heures, pourquoi donc dois-tu recharger les batteries en mangeant toutes les 4 à 5 heures ? Pourquoi tombons-nous malade ? Pourquoi des petits enfants se font-ils brutaliser ? Et pourquoi les femmes se font-elles frapper ? Pourquoi y a-t-il des pauvres et des riches… j’ai tant de questions, tu vois ?
Il m’a donné un livre écrit par mon guide spirituel, Srila Prabhupada, que j’ai commencé à lire… et ça a répondu à des questions que j’avais dans ma vie. Donc oui, ça joue un rôle très important dans ma vie, c’est toute ma vie. J’essaie de me réveiller tous les jours pour faire mes prières à 4h, 4h30 du matin, j’essaie de lire, d’écouter des messages optimistes… J’essaie de commencer ma journée de manière positive.
Pozzo Live : Est-ce que le « All-In » dans le nom du groupe est une déclaration d’intention ?
Don : Oui, toute ma vie j’ai maintenu une liste de choses à faire et j’ai toujours voulu faire des choses de ma vie. J’ai voulu jouer dans un groupe : j’ai passé les auditions pour The Spudmonsters en 1999. Je voulais sauter d’un avion après le lycée : j’ai intégré les parachutistes à l’armée. Plus tard, je voulais écrire un livre : en 2014 j’ai écrit le livre Raw Life sur la santé. Je me rappelle une fois m’être demandé comment est le Costa Rica, je voulais aller surfer : j’y suis allé. J’ai voyagé dans 23 pays différents avec mes tournées…
J’ai été inspiré par des gens comme Henry Rollins et David Lee Roth, qui se baladent, voient le monde, font des choses quand ils en ont envie. Ils sont en mode : « Hey, j’ai envie de faire ça, pourquoi pas ? Je vais le faire ! » Donc je ne pense pas trop aux inconvénients, je fais juste les choses. Et s’il se passe quelque chose en route, ça fait partie de l’expérience d’être Don Foose.
A propos de l’avenir
Pozzo Live : Vous devriez être en tournée. Comment ça se passe pour votre équipe ?
Don : Oui, j’ai vu que Sick of it All a fait un appel aux dons parce qu’ils aimeraient pouvoir payer leur équipe. J’ai trouvé ça vraiment cools qu’ils l’aient fait, ils ont réuni $3.000 pour les gars. Nous ne tournons pas assez avec One Life All-In pour avoir une équipe permanente : je viens pour faire 2 ou 3 shows par an, parfois pour enregistrer… En fait le groupe est en train de devenir sérieux là, maintenant. On a une nouvelle vidéo qui vient de sortir pour le titre Letter of Forgiveness. Quand les gens la verront, qu’ils verront des interviews comme celle-ci, et qu’ils écouteront le nouvel album, alors je pense vraiment que nous pourrons faire plus de shows et toucher plus de gens. Et là nous pourrons avoir une équipe de roadies stable, nous montrer, et casser la baraque !
Pozzo Live : La pochette de l’album est superbe. Est-ce ta première collaboration avec Dave Quiggle ?
Don : Non, en fait Dave et moi avons fait un side-projet ensemble il y a… longtemps ! En 1998 ! On a fait un projet de quelques titres, appelé Sons of War. On a toujours été amis, il était guitariste dans le groupe Disciple. Il était de Erie, Pennsylvanie, et maintenant il vit en Californie. Il tatoue dans le style Old Rose, ça a toujours été un très bon ami. Chaque fois que j’ai besoin d’un artwork, ou que je veux juste avoir son opinion, par exemple j’ai écrit une chanson et je lui dis : « hey, qu’est-ce que tu en penses ?« , il me dit « ouais, c’est cool » ou alors « fais ça un peu différemment« . On a toujours collaboré, parce qu’il a une très bonne oreille musicale.
Pozzo Live : Portes-tu certains de ses tatouages ?
Don : Non, il ne m’a jamais tatoué, bien que j’adorerais qu’il le fasse. Qui sait ? Je me ferai peut-être tatouer cet album quelque part, parce qu’il est vraiment bien. Je n’ai plus beaucoup de place cela dit, à part sur la jambe !
Pozzo Live : Qu’est-ce qui fait un bon concert de One Life All-In ?
Don : Eh bien, on a joué avec Sick of it All sur notre dernière tournée, ce qui est cool car ce sont de très bons amis. Je sais que Franco, notre bassiste, adore Sick of it All. Et ce sont de bons amis, ça c’est un bon show. J’adorerais jouer avec Gorilla Biscuits, je les adore. Qui sait ? Nous pourrions même jouer avec Black Sabbath… Peu importe, nous sommes un groupe si versatile que nous pourrions jouer avec n’importe qui. J’adorerais jouer avec Faith no More, J’ai déjà joué avec eux quelque fois pendant Spudmonsters, c’était cool, un peu féérique… En fait peu importe le groupe, du moment qu’on l’aime, on aimerait jouer avec !
Pozzo Live : Aurons-nous des collaborations sur le prochain album ?
Don : On en a déjà parlé avec des gens, on a des choses en préparation…
Pozzo Live : Et maintenant notre question rituelle : qui devrions-nous interviewer après toi ?
Don : Craig Sitari de Sick of it All. C’est mon pote, il est drôle à interviewer, dis-lui que j’ai dit ça !
Pozzo Live : Un dernier mot ? Une question peut-être ?
Don : Pas vraiment une question, mais je voulais vous remercier de m’avoir accueilli dans votre magazine, et pour les questions que tu m’as posées. On apprécie le soutien que les médias nous ont offert. On veut dire aux gens : donnez-nous une chance, on a un nouvel album qui s’appelle Letter of Forgiveness, s’ils regardent nos vidéos je pense qu’ils aimeront ce qu’on fait. Le nouveau clip pour Letter of Forgiveness est assez cool, c’est l’une de mes chansons préférées parmi toutes celles que j’ai écrites. Nous sommes un groupe assez versatile, donc quel que soit le style que vous aimez, vous aimerez des trucs chez nous. Merci pour tout !
Merci à Don pour son temps et sa bienveillance, et à Replica Promotion pour avoir organisé l’interview. Letter of Forgiveness est sorti le 3 avril 2020. Vous pouvez lire notre chronique de l’album, ou l’écouter sur Spotify pour vous faire un avis !