Alors que sort aujourd’hui le clip « Nous avons la rage« , nous avons pu nous entretenir avec Niko, le chanteur de Tagada Jones, pour évoquer l’album à venir. Agenda forcément chamboulé par la crise du coronavirus, contenu de l’album, tournée à venir, engagement du groupe… On balaye les sujets avec Tagada Jones à l’occasion de cette interview « Hors Normes« .
Tagada Jones, c’est 27 ans de carrière, 2 EP, 9 LP, 5 albums live, près de 70 dates par an… Des monstres partis de rien, à Rennes, et aujourd’hui bien installés dans le paysage rock français avec leurs textes politiquement incorrects et leurs riffs ravageurs. Le 16 avril 2020 sort « Nous avons la rage« , le premier extrait de leur nouvel album, « Hors Normes« . Un clip hors-normes lui aussi, car réalisé en plein confinement avec l’aide des fans.
Pozzo Live : Bonsoir Niko et merci de nous recevoir… chez toi !
Niko : Bonsoir à toi !
Pozzo Live : Vous venez de sortir le clip « Nous avons la rage« , qui a été réalisé en plein confinement avec l’aide des fans. Quelle a été la réaction de vos fans à votre demande ?
Niko : Au départ, on ne savait pas trop combien de retours on aurait. Quand on a envoyé la news, on s’attendait à avoir 200 à 300 vidéos, qui est ce dont on avait besoin. Et en fait en moins de 48 heures, on en a reçu 3500 ! Au bout de 24 heures on a déjà commencé à dire au gens d’arrêter, car c’était beaucoup trop et on n’aurait pas pu tout intégrer. C’est pour ça qu’on a fait tous les petits teasers qui ont précédé la sortie, pour pallier au fait que tout le monde ne soit pas dans le clip. C’est toujours un peu embêtant d’avoir répondu et de ne pas se voir, donc on voulait que les gens aient quelque chose quand même.
Pozzo Live : Vous avez demandé aux fans de s’habiller en blanc, sur fond blanc. Pourquoi ce choix ?
Niko : C’était un choix un peu artistique. On ne savait pas trop ce qu’on allait recevoir, surtout que c’est la première fois qu’on se lançait dans un clip de confinement comme ça. Comme les gens se filment chez eux, on avait peur qu’avec les cadres très différents et des vêtements très différents, le rendu soit un petit peu difficile à homogénéiser. Le t-shirt, ça rappelait un peu aussi le confinement du moment, la blouse des médecins, des infirmiers. C’est aussi un petit hommage, car on voulait marquer un peu le coup.
Pozzo Live : Tu peux nous raconter un peu le morceau ?
Niko : Le morceau « Nous avons la rage » est un titre sur l’après Gilets Jaunes. Au bout de presque 1 an de mouvement, des millions de gens qui sont descendus dans la rue, il n’y a pas beaucoup eu de répercussions. Indirectement l’Etat a réussi à étouffer le mouvement, et donc le titre est un peu un coup de gueule après-mouvement : ça veut dire quoi ? On peut être des millions à descendre dans la rue et il ne se passe rien ? Est-ce qu’on doit passer par la violence ? C’est la thématique du morceau, et on voulait montrer toute la diversité des gens qui ont participé au mouvement des Gilets Jaunes. On avait un gros tournage le 28 mars avec beaucoup de figurants qui forcément est tombé à l’eau, mais cette idée de demander aux gens de se filmer chez eux nous a permis d’avoir cette diversité qu’on voulait représenter dans le clip : des jeunes, des vieux, des noirs, des blancs, des petits, des grands… Même si le rendu final ne ressemble en rien à l’idée initiale, on est très contents d’avoir tous ces gens et toute cette diversité dans le clip, c’est vraiment une réussite pour nous.
Pozzo Live : qu’est-ce que ça a changé pour vous, le groupe, de faire ce clip à la maison ?
Niko : Bah déjà, on s’est filmés tout seuls ! C’est vraiment du 100% confinement, toutes les images que tu voies. Moi à certains moments c’est mon fils qui me filme… On s’est tous filmés avec nos smartphones, donc ça change forcément pas mal de choses. Ça fait bizarre d’ailleurs… Pour ne parler que de mes parties, je me suis filmé en train de chanter avec une perche à selfie, comme les petits jeunes, c’est assez étonnant !
Pozzo Live : C’est une expérience que vous aimeriez tenter dans des conditions plus maîtrisées ?
Niko : Je ne sais pas si c’est vraiment quelque chose qu’on doit retenter. On l’a fait parce qu’on n’avait pas d’autre choix, mais je ne pense pas qu’on le referait sinon. C’est vraiment la configuration qui nous a imposé ça.
Pozzo Live : Parlons un peu du message de « Nous avons la rage ». Tu disais que c’est inspiré par l’après Gilets Jaunes. En cette période de confinement on entend des messages similaires à inventer le monde de demain, est-ce que tu penses que c’est possible?
Niko : Je pense que oui. La preuve c’est que tu en parles, et que donc les gens en parlent aussi et que il y a eu une remise en question de pas mal de gens. Je pense que beaucoup vont se remettre en question notamment sur le fait d’avoir tout délocalisé, d’être dépendants et que la France ne soit plus du tout autonome. Ça, plus personne ne le voudra donc je pense qu’il va y avoir un changement d’idéologie assez radicale de la population, mais même des grosses entreprises. Elles sont toujours en train de s’adapter à ce que les gens veulent, elles sont obligées, donc c’est une évidence qu’il va y avoir du changement. La crise va générer des changements énormes. On est quand même en train de parler de nationalisations ! Je ne sais pas si tu vois combien de temps il faut remonter en arrière pour parler de nationalisation des entreprises ? Donc oui je pense que ça va changer beaucoup de choses. Mais nul n’est prophète, on n’est pas capables de savoir ce qui va se passer. C’est une situation quand même assez inédite. Personne ne sait sur quel pied danser, comment ça va fonctionner… je pense qu’on va vraiment être surpris.
Pozzo Live : Quel est le rôle des artistes dans tout ça ?
Niko : Le rôle des artistes est toujours important de manière générale. Mais je pense qu’aujourd’hui, tous les artistes sont plus que mobilisés. Ce qu’il y a de « bien » dans ce genre d’événement, et c’est triste de dire ça, c’est qu’on est TOUS logés à la même enseigne : quelle que soit la classe sociale, on est tous dans le même bateau. Les artistes sont tous confinés chez eux, ils ont tous la réaction assez normale d’utiliser leur vecteur de communication pour dire ce qu’ils ont à dire. Nous on utilise notre musique, et on l’a toujours fait, mais peut-être qu’aujourd’hui plus d’artistes vont se trouver mobilisés par les événements, et que pour une fois on ne sera pas les seuls à avoir des choses à dire, et à essayer de faire évoluer la situation par derrière. Pour l’instant le gouvernement pallie à la crise comme il peut – c’est toujours facile aussi de tirer sur l’ambulance – mais après coup, tout le monde va changer son fusil d’épaule, même eux je pense. L’effet de masse de population aidera à ce que ça aille un petit peu mieux, et comme il va falloir reconstruire … c’est le bon moment pour essayer de tenter des choses.
Pozzo Live : Et tu y crois, qu’il va se passer quelque chose ?
Niko : A mon avis, ça va être entre les deux. Ca ne sera pas comme avant, c’est sûr. Ce ne sera pas non plus ce que beaucoup de gens rêveraient, ça ne sera pas le grand soir. On ne sait pas trop comment ça va évoluer, mais il y aura sûrement des choses positives dans la reconstruction. Croisons les doigts !
Pozzo Live : Qu’est-ce que c’est pour toi, aujourd’hui, d’être un artiste engagé et anarchiste ?
Niko : Déjà on n’a jamais été anarchistes, mais on est anarchisants. On est d’obédience de gauche, c’est une évidence, et on a des idées proches de l’anarchie du tout début, qui collent assez à notre image. Je pense que aujourd’hui être un artiste engagé, c’est continuer de défendre des causes. Ce sont des causes différentes tout le temps, et plus le groupe est connu plus on a des demandes. On ne peut pas faire QUE des concerts de soutien, évidemment, mais on en fait, et de plus en plus. Aujourd’hui, Tagada Jones c’est dans les 70 dates en France par an, dont 10 dates de soutien par exemple. Il faut être engagé : politiquement, et sur les réseaux sociaux, car ils nous offrent cette sorte d’oratoire qui nous permet de faire passer nos messages, en plus des concerts de soutien. On fait aussi des manifs dans la rue, mais là c’est plutôt en tant que citoyens. On me dit des fois qu’on ne nous voit pas tout le temps dans la rue… J’y vais, mais pas pour faire ma promo ! J’y vais parce que j’y crois, et le rôle de Tagada en tant qu’artiste engagé, c’est de faire passer nos messages par nos chansons, par notre musique, et par nos réseaux sociaux.
Pozzo Live : Ça a beaucoup changé la manière de communiquer ?
Niko : On communique en direct avec le public maintenant. Avant on discutait avec le public à la fin de concerts, maintenant les réseaux sociaux nous permettent de les toucher directement, et on dit ce qu’on a à dire. Même si on est auto-produits, et qu’on a toujours dit ce qu’on voulait ! Mais c’est un vecteur en plus, c’est sûr.
Pozzo Live : Ce clip est le premier issu de « Hors Normes », qui arrive après 25 ans de carrière. Quel regard tu portes sur ces 25 ans de carrière ?
Niko : 26 ans même ! Ce qu’il faut retenir de notre histoire, c’est que c’est une histoire très différente. On est un groupe DIY [NDLR: Do It Yourself], on n’a jamais compté sur autre que nous-même pour avancer. On est partis de strictement rien, on était le petit groupe du lycée, qui a bien évolué. Notre réussite est un peu paradoxale même vis-à-vis de notre discours, le fait de n’avoir jamais eu de grosse communication. Jamais on aurait pensé que ça puisse fonctionner comme ça ! Quand on a commencé, on l’a fait pour rigoler, quelques années après on s’est dit que pour continuer à rigoler on allait partir en tournée, planter nos études et nos boulots, faire les guignols 4 à 5 ans et revenir à une vie plus ordinaire. Et au final ça fait 26 ans que la blague se prolonge, et on est les premiers surpris !
Pozzo Live : Vous marchiez pourtant dans les pas de prédécesseurs assez illustres, comme Trust, qui marchaient un peu moins bien quand vous avez été connus…
Niko : Hmmm… je n’aime pas tirer sur l’ambulance. Trust c’est un groupe mythique. Aujourd’hui ça n’a plus grand chose à voir avec ce que c’était avant, c’est plutôt un groupe de blues-rock, ils n’ont plus l’énergie du groupe rock un petit peu dur. Et même si on est loin d’avoir le succès qu’ils ont eu, il ne faut pas exagérer non plus, c’est vrai qu’une partie de leur public a pu sans doute se retrouver dans l’énergie et le discours de Tagada Jones. Mais on n’est pas tout seuls ! Je dis souvent que nous sommes un groupe issu des cendres de l’alternatif français. Nos grands frères réels, C’est plutôt Parabellum, Les Béruriers Noirs, même La Mano Negra. On est vraiment issus du mouvement rock alternatif français. Comme les gens aiment bien catégoriser, on a été catégorisés punk à cause de nos paroles engagées, mais dans notre musique, il y a du punk, des touches de metal, des riffs hardcore, des riffs rock, du second degré…
Pozzo Live : Quels sont les thèmes que vous allez aborder dans l’album ?
Niko : On ne va pas faire un album entier sur les Gilets Jaunes (rires), mais ça sera dans la lignée de Tagada. Ce sont souvent des réactions à chaud sur notre vie de tous les jours. La composition de l’album a été écourtée du fait du confinement, il nous manque 3 ou 4 titres qu’on finira après le confinement. Donc forcément on va sortir un titre sur la situation actuelle, on ne peut pas ne pas sortir un titre, c’est tellement fort ce qu’on vit… Tu me parlais d’humour tout à l’heure, c’est drôle car justement on a essayé de faire deux ou trois titres un peu plus légers, ce qu’on n’avait jamais fait, avec un second degré et un côté un peu ironique. Il y a quand même un message traité dans ces titres là, mais pas du tout de la manière dont les gens peuvent avoir l’habitude dans un titre de Tagada Jones, et j’en suis assez content car il faut savoir se renouveler un peu de temps en temps ! On a traité par exemple le sujet de la différence sur un mode vraiment ironique, vous verrez ça dans quelques semaines ou quelques mois !
Pozzo Live : D’autres singles sont prévus d’ici la sortie en automne ?
Niko : Oui, il y en aura 4 au total. Tout le calendrier est chamboulé aujourd’hui. La sortie de l’album fin septembre est je pense confirmée, ça ne devrait pas bouger. Les singles devraient sortir aussi, mais sans doute sur un rythme différent. Par exemple on devait en sortir un le 15 juin avant le Hellfest, en partenariat avec l’application, forcément ça risque de changer avec le report en 2021 ! Le planning est assez mouvant en ce moment, mais normalement il devrait y avoir 4 singles d’ici fin septembre.
Pozzo Live : Est-ce qu’on peut s’attendre à des collaborations ? Par exemple encore avec le Bal des Enragés, avec qui vous avez beaucoup tourné ?
Niko : Il y a quelques collaborations. Un peu plus surprenantes que le Bal, avec qui on a déjà fait toutes les collaborations possibles maintenant. Il devait y avoir des séances d’enregistrement au mois de mars, qui soit ont été écourtées, soit ne se sont pas faites à cause du confinement. Donc est-ce qu’elles se confirmeront ? On l’espère, mais plus personne ne sait plus rien aujourd’hui en termes de planning. Il faut qu’on recale des dates, et plus la date de la sortie se rapproche, plus on aura du mal à les caler alors qu’on avait largement le temps à la base. Après, relativisons, ce ne sont que des problèmes de planning, il y a des problèmes plus graves dehors.
Pozzo Live : Vous deviez jouer sur la tournée « On n’a plus 20 ans », qui a déjà été reportée une fois à juin. On peut se douter que c’est encore raté…
Niko : On est en train de la reporter une nouvelle fois, à septembre. On va l’annoncer prochainement, ça se fera début septembre. On s’est posé la question, mais les artistes sont motivés, les gens ont envie de nous voir, donc je pense qu’il faut les faire ces concerts. Une fois que cet épisode sera passé, il va falloir retrouver le sourire et s’amuser, donc je pense que c’est important qu’on le fasse, et on est en train de tout faire pour la mettre sur pied en septembre. A l’heure où je te parle c’est validé à 95% donc on y croit !
Pozzo Live : Et la tournée mondiale qui était prévue en septembre ?
Niko : Là par contre on est obligés de décaler, car on ne peut même plus acheter les billets d’avion. On devait faire Canada et États-Unis en septembre, mais c’est tellement le bazar qu’on ne peut pas y aller en aveugle. Donc on décale cette partie là à janvier, et on garde tout ce qui était en octobre par contre, avec notamment les 2 dates au Trianon à Paris les 27 et 28 novembre, qui sont finalement nos seules dates françaises à la sortie de l’album.
Pozzo Live : Dernière question, traditionnelle chez nous. Qui penses-tu que je devrais aller interviewer après toi ?
Niko : Tu devrais aller interviewer Kemar, de No One is Innocent. Je sais qu’ils préparent un album, donc ça peut avoir du sens d’aller les interviewer aussi !
Un grand merci à Niko pour cette interview menée tambours battants. Retrouvez Nous avons la rage, premier extrait de Hors Normes, sur YouTube.
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