Manuel Gagneux et Tiziano Volante de Zeal et Ardor étaient de passage à Paris. L’occasion pour eux de présenter le prochain album GREIF à venir le 23 août 2024.
Pozzo Live : Bonjour comment allez-vous ? Comment se passe votre journée, pas trop intense ?
Manuel Gagneux : On a fait un joli trajet en train, ça a été assez rapide. Et on a été accueilli par la police à Paris.
Tiziano Volante : Yep, on s’est fait contrôler et ils ont dû nous faire descendre.
Manuel Gagneux : Et après, on est arrivé ici et ça a été super cool.
Pozzo Live : Votre album GREIF arrive le 23 août. Quand avez-vous commencé à l’écrire ? Combien de temps vous a-t-il fallu pour la version finale ?
Manuel Gagneux : De l’écriture à la finalisation du projet, ça a pris à peu près un an…
Tiziano Volante : Oui, avec toutes les démos et tout. Un petit peu plus.
Pozzo Live : Aviez-vous d’anciennes idées que vous avez réutilisées ou bien êtes-vous parti de zéro ?
Manuel Gagneux : J’ai commencé à partir de rien, mais je pense que certaines mélodies viennent d’esquisses. C’est comme un amalgame. Je crois qu’il y a un morceau qui datait d’une ancienne idée. Mais pour tout le reste, c’est du tout frais.
Pozzo Live : Est-ce que vous écrivez pendant vos tournées ou exclusivement en sessions d’écriture ?
Manuel Gagneux : Je fais rarissimement un riff ou un début de piste, parce-qu’on est en tournée. Surement que les gens le font… Mais je crois qu’on est juste trop fainéant, ou alors nos shows sont trop prenants.
Tiziano Volante : Mais, j’crois bien t’avoir vu travailler en tournée. Tu le considères peut-être pas comme tel mais la vérité, c’est que Manuel opère avec son esprit créatif aussi en tournée. Après si le support est utilisé pour du perso ou peut-être jeté par la suite, c’est autre chose. Mais je crois bien avoir entendu certains riffs dans le bus…
Manuel Gagneux : Bon, j’ai menti, désolé. [Rires]
Tiziano Volante : Mais par contre, tu ne prends pas de temps défini chaque jour pour bosser sur un prochain album, si c’était la question.
Pozzo Live : Pourquoi ce titre français : « Une ville vide », comme titre de morceau instrumental ?
Manuel Gagneux : On a fait un « Franciscime ». C’était en anglais au début, « A empty town » mais ce titre là, ça faisait naze alors on l’a pris en français. Ca sonnait carrément mieux. [Rires]
Tiziano Volante : On ne vient pas d’une ville bilingue directement. Mais la France et l’Allemagne partagent une frontière, il y a de l’échange culturelle dans les deux sens.
Pozzo Live : Je trouve dans vos musiques des vibes de pop culture. Comme Stranger Things ou des jeux vidéos à la Zelda. Ce n’est que mon opinion mais c’est ce que j’entends. Êtes-vous d’accord avec cela ? C’est fait exprès ou juste inspiré ?
Manuel Gagneux : Et bien notre synthétiseur est issu d’une émulation de Game Boy, donc évidemment que c’est intentionnel.
Pozzo Live : Sauf erreur de ma part, votre album est intégralement auto-produit. Est-ce que cela vous confère un sentiment de liberté ou est-ce que ça augmente le niveau de pression de ne pas avoir un producteur pour tout contrôler ?
Tiziano Volante : A mes yeux, ça nous apporte plus de liberté. Mais le projet commence comme un vrai Do It Yourself. Mais ça veut aussi dire que pour Mark, notre chanteur qui gère l’enregistrement, ça lui apporte une quantité de stress. Parce qu’il doit se taper toute la partie post-prod et tout le monde est impliqué. Pour moi, cela apporte plus de liberté de création, mais aussi plus de responsabilités. Ce qui est surtout sympa pour les autres.
Manuel Gagneux : En dehors de toi, bien sûr et peut-être Mark, dans le rôle de l’ingénieur, nous n’avons jamais vraiment eu de producteur dédié, quelqu’un de l’extérieur. Le contrôle qualité est fait en interne, surtout avec chaque membre qui fait ses propres prises de son et les vérifient. Dans un sens, on a systématiquement trois paires d’oreilles pour tout contrôler et ça apporte une tout autre perspective. C’est un autre état d’esprit que de jouer les pistes et les écouter dans un contexte ou les écouter à la recherche du détail. Mark a constamment la vision macro ou au moins un entre deux. Et peu importe qui s’enregistrait cherchait les détails.
Pozzo Live : Pour votre groupe, ça a l’air positif. Au final, vous vous direz « Allez, la prochaine, on fait pareil! »
Manuel Gagneux : On verra. [Rires]
Tiziano Volante : Je pense pas qu’on recommencera. Je pense que l’idée c’est d’évoluer. De faire ce qu’on aime dans le processus et pas le reste. Enfin, je ne sais pas.
Manuel Gagneux : Qui vivra, verra.
Tiziano Volante : On apprend continuellement
Pozzo Live : Un petit mot pour vous féliciter pour le Swiss Music Prize que vous avez remporté récemment. Vous pensiez le remporter un jour ?
Manuel Gagneux : On n’était pas forcément attentif à ça. Principalement parce que ce prix est souvent pour de la musique classique… Ou des trucs du genre, ou de la musique exotique, du jazz compliqué. [Rires]
Du coup, on ne s’y attendait pas, c’était une jolie surprise.
Pozzo Live : Une autre question, vous avez pas mal de paroles qui dénoncent les actes violents liés au racisme qui malheureusement arrivent encore en 2024. Est-ce que votre position d’avoir un chanteur noir dans un univers de black metal était-elle dure à vivre ? Est-ce toujours le cas aujourd’hui ?
Manuel Gagneux : Je ne crois pas que les gens qui ne nous aiment pas, nous écoutent, viennent à nos show ou font des commentaires… Je m’attendais beaucoup à ce que les gens cherchent les embrouillent et nous disent qu’on faisait de la merde.
Tiziano Volante : C’est toujours présent, bien sûr. Peut-être que c’est comme tu dis et que les gens racistes ne nous calculent pas. Mais à mes yeux, et je touche du bois, on n’a pas subi trop de bashing, ni de réserves de la part des métalleux puristes ou juste du racisme pur et dur.
Au moins c’est un peu le côté positif de ce monde : on semble trouver notre auditoire ou alors ce sont eux qui nous trouvent sans avoir à batailler.
Je veux dire, peut-être que maintenant avec cet album, nous faisons plus de promotion ou de plus en plus de vidéos, mais pas dans le sens où nous essayons de le commercialiser directement.
C’est drôle de voir que nous avons l’impression d’attirer notre public à un niveau assez organique, et qu’il y reste pour les raisons exactes pour lesquelles nous souhaitons qu’il y entre.
Pozzo Live : C’est intéressant parce que quand on remonte l’historique du métal, c’était un milieu de mâles blanc hétéros. Et si on n’est pas l’un de ces trois là certains avaient (ou ont encore) tendance à dire « mais qu’est-ce que tu fais là ? »
Manuel Gagneux : Oui, c’est hilarant parce que les gens écoutait Rob Halford, en se disant que c’était la quintessence du mâle. Sa mode sur scène était pourtant tout droit sortie d’un club gay et tout le monde adorait. « Suivons ce gars en cuir trop impressionnant ». Et pourtant, c’est le cliché gay. Il a alors fait son coming-out et tout.
Tiziano Volante : Je trouve que dans l’hyper-masculinité, il y a toujours une connotation d’homosexualité ou plutôt à tendance bi, qui dans certains cas est moins évidente. Et c’est super drôle que les homophobes ne le réalisent pas ou alors pas tout seul.
Pozzo Live : Avec cette question je pense aussi à ce groupe de métal français, Pogo Car Crash Control, et à leur bassiste qui est une femme. Et sur chaque tournée quelqu’un lui demande si c’est la copine du chanteur ou autre « Eh mec, je suis sur scène, je fais partie du groupe. »
Tiziano Volante : C’est vrai, notre première bassiste a vécu ça en temps que femme, bien sûr. On a aussi eu cela avec notre tour manager mais elle est robuste et a du répondant dans ces situations.
C’est fou que ces standards soient toujours présents de nos jours. Réfléchis, de tout temps il y a eu des groupes avec des femme, black, trans dans le milieu. C’est juste quelque chose que les gens ont nié ou caché intentionnellement depuis tout ce temps. Et pour être franc, je pense que ce genre de zones ou les gens issues de la diversité, encore plus de diversités ressurgissent et c’est ce qui devient intéressant maintenant. Peut-être que c’est l’occasion de virer le vieux pour faire de la place à la nouvelle génération.
Pozzo Live : Vous allez faire la première partie de Heilung cet automne (notamment au Zénith de Paris). Êtes-vous excités de jouer votre musique dans un aussi gros concert ? Où êtes-vous stressés de jouer devant un public aussi gros qui n’est pas forcément le votre ?
Manuel Gagneux : On a déjà bossé avec Heilung et ça s’était vraiment bien passé. Je ne crois pas qu’on a d’inquiétude à avoir. Du coup, on est très excités de rejouer là-bas.
Tiziano Volante : La vérité, c’est que plus gros est la foule, genre quand tu dépasses les 2000 personnes, moins le cerveau humain arrive à analyser le truc. C’est comme une marée humaine, en tout cas pour moi, depuis la scène. Et c’est beaucoup moins stressant pour moi que d’avoir des concerts de 300 à 500 personnes où on est tout proche. Ils savent, ils voient tout. Il n’y a plus rien pour te cacher si tu te plantes.
Manuel Gagneux : On est super excités. La dernière fois, c’était top et je pense que ce sera l’occasion de proposer notre musique à un autre public.
Pozzo Live : Vous avez joué dans plusieurs pays maintenant. Y en a-t-il un que vous n’avez pas encore visité et où vous aimeriez jouer ?
Manuel Gagneux : L’Amérique du Sud, j’imagine. Peu importe où, ça serait chouette. Ou le Japon. En fait, à peu près n’importe quel pays qui nous voudrait bien. Sauf l’Israël peut-être.
Tiziano Volante : Peut-être pas Israël, c’est pas le bon moment.
Manuel Gagneux : L’Amérique du Sud en premier probablement. Ca serait cool d’avoir notre propre tournée aussi. Mais c’est sûr, les conditions économiques et politiques en général font qu’on verra.
Tiziano Volante : Oui, on verra. On tentera.
Manuel Gagneux : Oui, on va essayer. On va tenter de revenir au Brésil aussi. On y a été et les Brésiliens en redemandent, donc on reviendra.
Pozzo Live : Au Japon, ils aiment beaucoup le métal. En fait, ils aiment beaucoup de petits groupes. Parfois, ils ne sont pas bien connus dans leur pays d’origine mais au Japon, ce sont des stars.
Manuel Gagneux : Grands au Japon. Ca serait génial. J’adorerais.
Tiziano Volante : Ce serait vraiment cool, on essayera.
Pozzo Live : Avez vous des hobbies en dehors de la musique ? Même si la musique prend beaucoup de temps.
Manuel Gagneux : Je joue beaucoup aux jeux vidéos et je lis beaucoup. Ah et la cuisine bien sûr. La cuisine et la nourriture en général.
Tiziano Volante : Ça et les dessins animés. Toutes les formes d’arts. Tout ce qui permet de s’enfuir intellectuellement de ce monde. [Rires]
Pozzo Live : Quel artiste vous conseilleriez à Pozzo Live d’interviewer ensuite ?
Tiziano Volante : Harriet.
Manuel Gagneux : Harriet, ça serait génial.
Tiziano Volante : Nyos.
Manuel Gagneux : Aussi.
Tiziano Volante : Et Hazen.
Manuel Gagneux : Yes ! Ces trois sont tops !
Interview réalisée à Paris le 13 juin 2024