Festival Chorus, un air d’été sur l’île aux résonances éclectiques
Week-end du 5 au 7 avril
L’été n’est pas encore là, mais la saison des festivals a bel et bien débuté, avec le Festival Chorus, domicilié cette année à la Seine Musicale, navire futuriste flambant neuf dédié à toutes les formes de musiques, situé sur l’île Seguin dans les Hauts-de-Seine.
Le Festival Chorus jouit d’un cadre atypique distinctif pour le bonheur des festivaliers : un grand espace dedans-dehors, avec toutes les commodités à portée de pas.
Pendant cinq jours, pas moins de 74 artistes se sont succédé, répartis sur six scènes, entre concerts, ateliers, et journées pour enfants : le Festival met les petits plats dans les grands.
Pozzo Live a embarqué à bord du navire du son au cours du week-end, et le moins que l’on puisse dire, c’est que nous n’avons pas été déçus du voyage.
Concerts:
- Tricky
- Glitter
- Fatboy Slim
- Coco Bans
- Ghetto Kumbé
- Gaëtan Roussel
- Charlie Winston
- Shaka Ponk
- Youssoupha
- Lord Esperanza
- Scylla & Sofiane Pamart
Jour 1 – Vendredi 5 avril 2019 – Électro à gogo
Un vent frais souffle sur la Seine Musicale en cette soirée placée sous le pavillon des musiques électroniques et technos, rien de mieux pour réchauffer les corps et esprits.
Tricky
Premiers pas dans les installations intérieures, et c’est une drôle de prestation qui se joue sur la Grande Seine. Le profane entrant a de quoi être perplexe, car c’est dans une salle sombre, très sombre, que le chanteur Tricky, ancien Massive Attack se livre à une prestation déconcertante. Quelques corps lancinants, un chanteur qui semble tourner le dos au public, Tricky pose sa voix sur un trip-hop pesant, dans une salle loin d’être remplie. Ayant pris le concert en cours de route, j’apprendrai plus tard que c’est la chanteuse Marta Zlakowska, membre du groupe qui a sauvé les meubles en interprétant dignement plusieurs morceaux. Tricky, que l’on peut traduire par « épineux » ou « sournois » porte bien son nom. Ce soir, il aura peiné à convaincre les curieux, alors qu’il était pourtant très attendu.
Glitter
L’atmosphère étrange et pesante de Tricky me pousse à mettre le nez dehors pour découvrir la scène extérieure du Parvis où c’est au tour de Glitter d’assurer son set, à l’issue d’une journée où les DJ et autres formations électros se sont succédé. Glitter fait résonner les imposantes enceintes aux sons électros teintés de rythmes orientaux. Une techno nord-africaine qui ravit un Parvis frais, mais dansant. Le public présent est avisé, et exécute sans retenue des pas de danse, des plus conventionnels aux plus excentriques, et semble apprécier les beats bien marqués et la grosse caisse. La disc jockey interagit peu avec la foule, mais s’encarte par moment de ses platines pour à son tour se laisser porter par sa musique frénétique, et danser de façon mesurée.
Fatboy Slim : Big Beat Party
La tête d’affiche de la soirée n’est autre que le célèbre DJ anglais Fatboy Slim qui pour l’occasion a transformé la Grande Seine en une gigantesque boîte de nuit où le mot d’ordre est à la fête. Fatboy Slim, seul sur scène est à la pointe de la technologie dans son spectacle son, lumière et écran géant, où on le voit occasionnellement apparaître en direct sur un écran agrémenté d’effets numériques. Tendance. Le spectacle des lasers apporte une esthétique géométrique colorée, pour le plus grand bonheur des festivaliers, qu’ils soient en fosse ou en gradins. Le ton est donné avec « Eat, Sleep, Rave, Repeat », puis le DJ anglais déploie sa palette de savant du dancefloor avec pêle-mêle mash-up, samples et beats, où ses propres sons se mêlent aux autres artistes. Fatboy Slim se permet même d’emprunter les « gaitas », flûtes traditionnelles sud-américaines sur une électro-cumbia quand il ne finit pas de déchaîner toute l’assemblée notamment avec ses propres titres, et le show laser impressionnant où les corps et esprits se sont définitivement libérés, oubliant un instant le cadre épuré de la Grande Scène. Fatboy Slim entraînera son public avec « Praise You » jusqu’au bout de la nuit, un show jusqu’à 1h20 pour les plus résistants.
Jour 2 – Samedi 6 avril 2019 – Buffet royal
Coco Bans
L’une des révélations de ce festival est sans aucun doute la jeune formation Coco Bans qui se produit dans la petite salle de concert club RIFFX. Mené par la chanteuse américaine Allyson Ezell, le groupe propose une pop aux sonorités folk, teintée d’émotions notamment grâce à la voix envoûtante de sa chanteuse. Sur scène, la complicité des musiciens est flagrante, et nous assistons à de nombreux échanges, comme lorsque Bastien le guitariste prend un peu de temps à se mettre en place avant d’envoyer leur titre phare Make it Up.
À la différence des morceaux enregistrés, sur scène les sonorités rock sont beaucoup plus affirmées et mises à l’honneur, ce qui apporte une nouvelle dynamique. Tout l’intérêt de la scène. Allyson n’hésite pas à partager des anecdotes personnelles sur ses morceaux, qui prennent encore plus leur sens, comme sur l’émouvant Pray, inspiré par la mort du père d’une de ses amies. L’univers de Coco Bans puise dans tout le vécu de sa chanteuse, tantôt onirique avec « Double Life », tantôt nostalgique et malicieux lorsqu’elle chante « Hell Yeah », clin d’œil à sa mère et aux églises qu’elle fréquentait. Coco Bans, une artiste connectée à ce qu’elle chante et ce qui la touche tant, et c’est cela qui nous touche. Une authenticité transparente et communicative, qui aura enchanté la scène du club RIFFX. Assurément le coup de cœur de Pozzo Live.
Ghetto Kumbé
L’Amérique du Sud a répondu présente au festival, représentée par Ghetto Kumbé, trio venu tout droit de Bogotá, capitale colombienne. La formation propose un rituel des tambours auquel le public est invité à prendre part. Sur scène, les instruments traditionnels et percussions se mélangent aux platines, pads et séquences programmées sur ordinateur. Ghetto Kumbé qui décrit sa musique comme d’« Afro-latin beats », est là pour inviter le public dans la ronde, qui en ce samedi après-midi est assez timide. Le trio quant à lui se donne corps et âme dans ce set, au visuel coloré, arborant des masques de têtes de tigres fluo. La musique de Ghetto Kumbé est habituée à faire danser les foules, en festival comme en club, et aurait sans doute gagné à passer à une heure plus tardive. Cet appel aux vibrations intérieures vient de ce que la Colombie a de meilleur, sa richesse culturelle issue d’un métissage afro-descendant séculaire, teintée de modernité. Elle n’aura pas réellement réussi à envoûter, pour aujourd’hui, le public du Parvis hésitant et épars.
Gaëtan Roussel : séquence Madeleine de Proust
Fin des années 90, l’école, les devoirs, et Louise Attaque sur NRJ. En boucle. Gaëtan Roussel fait partie de ses artistes qui dorment dans l’inconscient collectif, et qui, même si on ne l’écoute plus aussi souvent, réussissent à réveiller cette douce nostalgie qui sommeille en nous. Dans un décor aux néons colorés futuristes, comme pour montrer que la formation reste actuelle, Gaëtan Roussel est accompagné de musiciens et deux choristes, qui viennent souvent amplifier à l’octave la voix grave du chanteur-guitariste. L’ancien frontman de Louise Attaque nous invite à regarder dans le rétroviseur, certes, mais nous offre également quelques titres de son dernier album, dont « J’entends des voix » aux accents électro-rock, où le public sera invité à chanter le refrain en cœur, pendant un long moment sous la baguette de Gaëtan Roussel qui profite de chaque instant. Gaëtan Roussel est généreux, et enchante les petits comme les grands, notamment sur ses titres attendus comme « l’Invitation ». Le flambeau semble bien transmis à la très jeune génération, bien représentée aujourd’hui, accompagnée par des parents qui semblent vouloir leur transmettre un héritage, celui de la bonne chanson française un peu oubliée. Un beau moment de partage dans la Grande Seine.
Setlist :
Éolienne
Dis-moi encore que tu m’aimes
Ne tombe pas
Dedans il y a de l’or
Il y a (reprise Vanessa Paradis)
Ton invitation (Louise Attaque)
Si l’on marchait jusqu’à demain (Louise Attaque)
Si c’était hier (Louise Attaque bande-son)
J’entends des voix
Matrice
Clap Hands
Je veux bien, je ne sais pas
Help Myself (Nous ne faisons que passer)
Léa (Louise Attaque)
Hope
À peine le temps de filer que Charlie Winston entame son show à l’extérieur. Énorme rassemblement convivial, le plus important du week-end sur le Parvis où le personnage qui a tout d’un dandy anglais, offre une prestation rafraîchissante et énergique qui aura gagné le cœur des festivaliers. L’un des artistes attendus du week-end qui n’aura pas déçu.
Shaka Ponk : spectacle hors-norme
LE groupe ultime tant attendu par les festivaliers, dont sa réputation le précède, confirme sa pole position incontestée d’artiste de scène, de véritable « entertainer » dans un spectacle époustouflant, comme il est rare d’en voir aujourd’hui. La formation au complet aura repoussé les murs de la Grande Seine, doté de nombreuses rangées de sièges en plus par rapport à la veille.
Le ton est lancé avec le 1er morceau « Hallelujah », où Frah slam debout dans le public. Direct. Les éléments virtuels et réels se mêlent presque imperceptiblement tel un spectacle de prestidigitation. Alors que des « circle pits » balbutiants sont lancés sur « Fire », c’est sur « Wanna get free » que le public se lâche littéralement, chante, et saute à l’unisson. Puis nous avons droit à un interlude très divertissant avec une résurrection des icônes du rock et de la pop telles que Bowie, Cobain, Lemmy et autres Prince, dans une battle contre les musiciens de Shaka Ponk. Frah s’offrira également une danse du cercle avec la fosse, alors que ce dernier précisera à plusieurs reprises qu’il s’est cassé le cou, mais se donne fond comme si de rien n’était. On peine à croire qu’il performe avec une minerve. Frah fera même une apparition dans les gradins qu’il a rebaptisés en « banlieue chic », après avoir escaladé les barrières. Ils interpréteront une reprise épique de « Smells like teen spirit », Shaka Ponk est rock avant tout. Tout ce qu’ils osent, ils réussissent. Impossible de s’ennuyer, et ce ne sont pas les nombreux enfants présents ce soir qui diront le contraire : ils sautillent bras levés et reproduisent les pas de danse des robots avec joie. Ils prennent un kiff énorme, et les parents aussi. Incomparable.
Setlist
The White Pixel Ape Show Intro
Killing Hallelujah
On Fire
Wanna Get Free
Twisted Mind
I’m Picky
Palabra Mi Amor + Circle Pit
Smells Like Teen Spirit (reprise Nirvana)
Gung Ho/War Dance
Share a Line
Battle
Rusty Fonky
Le moins que l’on puisse dire, c’est que nous avons été gâtés en ce 2ème jour de festival.
Jour 3 – Dimanche 7 avril 2019 – Urban mix
Changement radical d’ambiance à la Seine Musicale, où la moyenne d’âge a radicalement chuté en ce dernier jour de festival. Le public qui arpente les allées de ce vaisseau musical est constitué de jeunes, venus en nombre pour acclamer leurs artistes de rap favoris.
Youssoupha
Youssoupha, l’une des têtes d’affiche du jour à jouer sur la Grande Seine s’amuse d’ailleurs des différences de génération, en racontant qu’une jeune fille l’ayant croisé et reconnu dans la rue lui demande un selfie puis conclut : « ma mère vous adore ». Peu importe si « c’était mieux avant », Youssoupha rassemble jeunes et moins jeune lors d’un show énergique, où il n’hésite pas à faire danser, sauter, bouger son public, qui en ressort essoré comme après une bonne séance de cardio, notamment sur un mash-up avec le fameux titre « I like to move it ». Youssoupha accompagné de ses musiciens et chanteuses-choristes, très applaudies d’ailleurs lorsqu’elles s’emparent du mic en solo, ou lorsqu’elles sont parfaitement synchronisées avec le rappeur. Prestation énergique pour un rap réfléchi et mûri, comme sur « Devenir vieux », émouvant constat du temps qui file. Youssoupha chante aussi en lingala, langue nationale de son pays d’origine le Congo RDC, dans un décor surplombé d’une cassette audio, comme pour souligner encore plus cette idée du bon vieux temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître.
Un lancement en grande pompe de cette dernière journée, alors que des impros de danse se déroulent dans les travées de la Seine Musicale. Les jeunes festivaliers auront encore l’embarras du choix.
Lord Esperanza
Contraste assez saisissant dans la sphère magnifique de l’Auditorium, que l’artiste ne manquera pas de souligner, en mesurant la chance assez unique de pouvoir performer dans le cadre épuré de l’Auditorium. Lord Esperanza profite de contraste inhabituel, et offre un set plutôt court où le public attend impatiemment ses chansons favorites, dont le titre « Maria » qui aura eu le mérite de réveiller et de dynamiser les jeunes, qui reprennent les paroles en cœur. C’est une formation minimale qui évolue sur scène, Lord Esperanza est accompagné de son DJ accessoirement rappeur. Lord Esperanza s’évertue tant bien que mal à remplir le digne espace de cette scène qui semble trop grande pour lui. Pour son dernier morceau, Lord Esperanza va audacieusement à la rencontre de son public, en empruntant un chemin peu conventionnel puisqu’il doit frayer son passage à travers l’orchestre en marchant sur les sièges… Une autre façon de laisser son empreinte ?
Scylla & Sofiane Pamart
La belle surprise de ce dimanche est sans aucun doute le duo Scylla & Sofiane Pamart qui offre dans un Auditorium attentif une belle séquence d’émotion. L’instant est solennel et le public le respecte, attendant la fin de chaque morceau avant d’entrer ou de sortir, même si pour l’occasion Scylla a su captiver l’auditoire dont la majorité assistera du début à la fin. Scylla & Sofiane Pamart, c’est la rencontre de deux artistes, l’un rappeur bruxellois qui compte de nombreuses années de carrière, l’autre Sofiane Pamart, pianiste et YouTuber qui a invité le rappeur pour une collaboration. Une évidence musicale qui leur aura donné envie d’en faire tout un album, comme le précise Scylla pendant une de ses nombreuses interactions avec l’audience. On apprécie un magnifique piano notamment sur le morceau « Petit Prince », et le morceau « Vivre » quant à lui parle de la perte et du deuil, émotion exacerbée par la violoniste Lina Pamart. Sofiane offre également de belles variations de rythme, et de l’intensité par son jeu. Connecté avec son piano, le pianiste est d’une beauté et sensibilité fascinante. Chaque mot résonne et est répercuté à l’auditoire. Scylla regarde son public droit dans les yeux, l’impliquant encore plus dans son univers, tantôt empli d’espoir, tantôt dépeignant sa réalité d’un homme impuissant face à l’individualisme et la désolidarisation croissants de la société. Ici, on prend le temps d’écouter les textes. Un beau moment de poésie hors du temps.
Pendant ce temps, autre ambiance avec le rappeur J.O.S. qui performe sur la scène du Parvis, accompagné de ses instrumentales aux lourdes basses, empruntées au hip-hop et rap US. Le rappeur semble appliquer l’adage « plus on est de fous plus on rit » à la lettre sur scène, et permet aussi d’assister à l’autotune en direct, un concept qui surprend lorsque l’on n’y est pas habitué.
L’âme qui souhaite échapper aux rappeurs en tout genre pourra prendre l’air sur le pont, à savoir un espace longeant le navire, proposant des cabines de danse, et bien sûr d’innombrables points de restauration. Sur l’espace de la scène Odela, un duo complice se produit, violoncelliste et clavier, pour offrir un jazz au swing électro audacieux. Véritable club de vacances avec paillotes en bois, transats, et cocktails revigorants.
Il faudra bien ça pour nous remettre de nos émotions, et de l’énergie dépensée tout au long du week-end, plein les yeux et plein les oreilles, nous nous préparons à un repos bien mérité.
C’est sur cette note rafraîchissante et que nous quitterons le Festival Chorus 2019, ravis d’avoir pu assister à une telle variété de concerts au sein d’un microcosme plaisant, dans une bulle musicale à portée de Paris. S’il a tout d’un grand, le Festival Chorus reste relativement méconnu du grand public. L’organisation impeccable, aussi bien dans l’accueil que le respect du programme, font du Festival Chorus à la Seine Musicale à coup sûr l’un de nos favoris.
Article par Stela Estrela
Photos par Charles Pozzo Di Borgo
– Pozzo Live
Remerciements: Ephelide, Chorus, Coco Bans, le Département des Hauts-de-Seine, la Seine Musicale.