Avec JVLIVS III, SCH clôt un chapitre de sa carrière qui s’est étalé sur au moins six années, séparant cette dernière offrande de son aîné JVLIVS. De ses propres aveux dans l’interview qu’il accorde à Mehdi Maïzi pour la sortie de l’album de clôture, SCH avoue être soulagé d’en finir avec une histoire qui l’a enfermé dans une spirale créative entourée de barbelés nommés JVLIVS et de pouvoir partir vers d’autres horizons.
Le principe d’album concept dans la carrière d’un artiste, c’est admettre d’enfermer dans l’ensemble d’une galette une histoire, une thématique, un processus créatif bridé par une intention d’écriture. Ça a ses bons côtés quand c’est bien fait, ça peut être une catastrophe quand ce n’est pas maîtrisé. Mais lorsque SCH annonce un album en trois actes (complété d’un prequel), on est en droit de se demander s’il ne fonce pas dans les rambardes de l’Autobahn, les yeux rivés sur le bitume sans jeter un œil au compteur et au danger.
Maintenant on respire, on réfléchit, et on se pose la question : qui, dans le monde du rap moderne, est capable d’assumer le poids créatif d’une trilogie musicale qui garantit une qualité égale de la première à la dernière note ? La réponse tient en trois lettres que vous connaissez très bien.
JVLIVS : Tome I – Absolu (2018) – Naissance d’un chef-d’œuvre
Il y a six ans déjà, SCH sortait un court-métrage de 17 minutes pour annoncer le projet JVLIVS, deux jours avant la sortie du premier volet. La voix de José Luccioni nous introduit à l’alter ego de l’artiste et nous conte son histoire, une manière de présenter le roman noir qui sera conservée et magnifiquement racontée au travers des futurs opus. Qui de mieux donc que le doubleur français d’Al Pacino pour nous conter ce récit.
On y comprend l’ouverture d’un nouveau genre dans le rap, celui du roman noir où, malgré la différence d’univers, le S emprunte beaucoup au cinéma, notamment à des séries noires telles que Gomorra, ou des figures de la mafia comme Don Corleone. Vous me direz sûrement avec raison que cela a déjà été fait. Certes, oui, mais avec cette justesse, cette puissance et cette maîtrise ? Je ne crois pas.
Julien, l’empereur du rap français
Si Julius s’inspire volontiers du prénom de son créateur, Julien, il fait également une référence explicite à l’empereur romain et son aura. Le choix d’un nom qui symbolise puissance et domination, à l’image de sa supériorité dans le rap, n’est pas anodin et est suggéré dans le titre “Mort de Rire”, qui sera d’ailleurs le premier révélé au monde.
J’ai Vici avant Vidi Extrait du titre « Mort de Rire », JVLIVS
Perfection instrumentale, variété vocale
Katrina Squad a proposé la quasi-totalité du support instrumental de cette masterclass, accompagné par Pyroman, Huslim, Kezah, Doubtless, Noxious et Heezy Lee. Les instrumentaux ont été composés avec une finesse rare, permettant le choix du silence quand la voix du S se doit d’être seule, discrète quand il faut sublimer l’outil vocal, lourde quand le sujet le veut. Une adaptation qui suggère une composition de concert pour que les textes de l’artiste et l’instru s’entremêlent et se complètent.
SCH explore les capacités de ses cordes vocales, de la voix de tête aux graves puissants, avec un travail vocal qui donne l’impression que le S feat avec lui-même au fil de l’album. À ce sujet, Ninho a eu le privilège, rare dans la trilogie, de partager le titre “Prêt à partir” où SCH se retrouve seul face à son histoire.
L’esthétique de JVLIVS est indéniablement cinématographique. Les clips, réalisés avec une attention méticuleuse aux détails, nous plongent dans un univers visuel sombre et stylisé. Chaque morceau est une scène, chaque parole un dialogue, et chaque silence un moment de tension.
Un rapport aux pères
Par le prisme du second single que choisit de sortir SCH pour la promo du premier opus, “Otto”, le rappeur rend hommage à son propre père, décédé l’année précédente. SCH évoque également des figures paternelles à travers des personnages de la mafia, comme Don Corleone, qui justifie une fois de plus le choix de la voix française d’Al Pacino pour conter l’histoire de JVLIVS. La voix de José Luccioni semble être omnisciente au-dessus des scènes contées dans l’œuvre, on peut y interpréter le contrôle du père mafieux qui voit tout, et l’aura de son paternel, qui garde un œil sur son fils.
Le rapport au père religieux est également présent, bien que de manière plus subtile. SCH utilise des références religieuses pour souligner les luttes internes et les dilemmes moraux de JVLIVS. Les interludes écrites par Furax Barbarossa et interprétées par José Luccioni ajoutent une dimension quasi liturgique à l’album, qui renforce l’idée de confession et de rédemption.
JVLIVS : Tome I – Absolu (2018)
01. Intro - Le déluge
02. VNTM
03. Pharmacie
04. Tokarev
05. Interlude - 420 mètres
06. Otto
07. Skydweller
08. Facile
09. Prêt à partir (feat. Ninho)
10. Mort de rire
11. Ivresse & Hennessy
12. J't'en prie
13. Interlude - Beretta 92FS
14. Le Code
15. Incompris
16. Ciel Rouge
17. Bénéfice
JVLIVS : Tome II – Marché Noir, la confirmation
2021 voit arriver le second volet du roman noir de SCH. Si la majorité était d’accord pour dire qu’avec le premier volet, l’artiste avait frappé fort, il restait une question en suspens. Le S a-t-il les épaules pour assumer une égale qualité jusqu’au bout ?
Après l’ouverture narrative qui nous remet un peu de contexte, Marché Noir nous arrive à la gueule avec une efficacité qui lève chaque doute : JVLIVS II sera au moins aussi bon que son prédécesseur. L’avenir de l’écoute nous dira même qu’il est sûrement meilleur pour beaucoup.
Après la naissance du personnage, la suite de l’histoire : Julius gagne l’Espagne et découvre, ou du moins nous fait découvrir, les frontières et les guerres de territoires qui guident le trafic.
De l’écran au quotidien
Là où JVLIVS I s’inspire beaucoup de l’audiovisuel et nous propose une version romancée proche des classiques du genre, l’intention dans le second volet est de briser l’écran. On est ici dans un ressenti plus proche du terrain que de sa représentation, et ce, de l’aveu même du S :
Sur le tome 2, j’m’inspire beaucoup moins de cinéma, le tome 1, lui est super inspiré de cinéma mais comme je développe l’histoire sur le tome 1 par le biais du cinéma, sur le tome 2, j’m’inspire beaucoup plus du tome 1 que du cinéma. Après, je reste un ex-cinéphile donc j’ai toujours mes classiques en tête et tout mais je me suis plus inspiré du tome 1 et puis après, du quotidien. SCH – CLIQUE TV
Côté instru, plus de monde, toujours au-dessus des autres
Cette fois-ci, l’équipe en charge de l’instrumental est bien plus fournie, si bien que je perdrais beaucoup de lignes à tout citer. Côté rendu, le ressenti est une suite logique des influences exprimées dans le premier volet avec une continuité dans la finesse d’écriture qu’avait instaurée Katrina Squad. Le soutien des lignes vocales reste d’une qualité au-delà des concurrents (si tant est qu’il y en ait).
Les guitares, les silences quand il en faut, la variété des beats, des influences, tout y est, pour soutenir un SCH au sommet de sa créativité dans une série de plus de 20 titres où le S évolue avec richesse et variété dans les nuances.
Quelques invités pour enrichir des textes déjà légendaires
L’évolution de l’histoire s’exprime avec clarté au fil des titres, entrecoupés d’interludes déclamées par José pour ramener dans le droit chemin ceux qui auraient oublié qu’on est autant dans une histoire à comprendre qu’une musique à apprécier.
Sur cet opus, le S s’entoure de Freeze Corleone, Le Rat Luciano, et Jul (par deux fois). Encore une fois, c’est l’œuvre de SCH. Les amis sont invités quand il faut une seconde voix de manière évidente par opposition à une collab d’intérêt. Chaque feat est mesuré, pesé comme la farine, et placé à dose exacte, à qualité optimale.
JVLIVS : Tome II – Marché Noir
01. Gibraltar
02. marché Noir
03. Fournaise
04. Aluminium
05. Mannschaft (feat. Freeze Corleone)
06. Grand Bain
07. Crack
08. La battue
09. Zone à danger
10. Euro
11. Assoces12. Parano
13. Corrida
14. Le coup d'avance
15. Raisons
16. Plus rien à se dire
17. Mode Akimbo (feat. Jul)
18. Mafia
19. Loup noir
20. Fantôme (feat. Le Rat Luciano, Jul)
21. tempête
JVLIVS Prequel : Giulio, il restait des choses à dire
Le baptême annonce la couleur, il sera sujet ici de l’avant Julius, la naissance du personnage. SCH avait prévu trois opus mais n’avait visiblement pas tout dit, et se permet un préquel surprise, paru six mois avant la clôture de l’arc. Ici SCH prépare la fin par le début : il livre tout ce qui n’a pas été dit sur Julius, et ce qu’il n’aura pas le temps de dire lors de la fin.
Le temps a rattrapé SCH
Raconter une histoire en tant de chapitres, c’est prendre le risque que le parrain quitte le siège. Et c’est malheureusement le cas de José Luccioni, décédé en 2022, qui sera remplacé par Gérard Surugue au poste de narrateur lors des interludes (toujours au nombre de 4).
Tuto cuisine par le S
Roi de la promo, SCH a réussi à surprendre. Alors qu’il avait choisi de promouvoir les sorties de JVLIVS par des courts métrages particulièrement bien réalisés, SCH prend le contrepied et tease le titre « Cannelloni » au travers d’une recette sur… Marmiton. Recette reprise dans l’interlude qui précède le titre en question.
JVLIVS Prequel : Giulio
01. Le Baptême02. Prequel03. Crois-moi04. Garcimore05. La recette06. Cannelloni07. Les hommes aux yeux noirs08. Quoi09. Beaux-arts10. La renaissance11. Balafres12. Gris13. Ciel bleu14. Jimmy Twice15. Hells kitchen16. L'Opinel17. Calabre18. Batterie vide
JVLIVS : Tome III Ad Finem, la consécration
Pour la première fois, l’ouverture est déclamée par le S lui-même, dans une ambiance instrumentale plus forte que les ouvertures des précédents. Le parrain a disparu. On revient également à une construction comme un enchaînement successif de scènes à la manière du cinéma.
À la manière d’un réalisateur, j’essaie de réaliser des films auditifs […] La musique au service de l’image. Interview avec Léa Salamé – France Inter
La Pluie, introspection sur une jeunesse en dents de scie
Bien que loin dans l’album, il faut parler de ce titre maintenant. Second single dévoilé, qui traite de l’enfance du S, de ses joies et ses malheurs, avec pour ouverture les mots “Le personnage n’a pas de cœur, c’est fort dommage l’auteur aussi”, parallèles évidents des histoires de Julius avec la vie réelle de son auteur.
Ma mère m’a vu mentir, mon père m’a pas vu grandir
Une forme résumée des expériences que SCH évoque dans ce titre soutenu par une instrumentation travaillée et particulièrement réussie. Des lignes de textes aux sens multiples qui résument une vie mouvementée, dans le bon et le mauvais sens, malgré une grosse dominante de tristesse.
Un album mature, qui se distingue
Julius a évolué, sa musique aussi, que ce soit dans les textes, qui font avancer l’histoire, les instru qui ont résisté à l’arrêt de collaboration entre Katrina Squad et le S, qui s’entoure à nouveau d’une longue liste de beatmakers. La qualité se mesure différemment.
Il serait stupide de comparer JVLIVS III par rapport au premier puisque l’œuvre se veut racontant une histoire dont la temporalité évolue, comme un gain permanent de maturité au travers de l’expérience. L’instrumental suit cette logique avec des influences et une écriture différentes, en témoigne celle de “Quartiers Nord”, beaucoup plus électro. Une maturité qui se traduit aussi dans l’annonce de l’album, qui a été précédée de deux concerts symphoniques dans le théâtre du Châtelet, avec tenue de gala pour tous.
Comme toujours peu de feat, un SCH qui croise quelques derniers amis
C’est un credo qui a rythmé les sorties de JVLIVS, très peu de feat, et ici encore, on ne retrouve que Sfera Ebbasta et Damso qui viennent passer une tête dans l’introspection de SCH aux moments opportuns.
Comme un symbole qui précède la conclusion, le feat avec Damso précède « La Pluie », où SCH commence son introspection, vers une succession de titres de plus en plus mélancoliques et sombres avant un final absolument déchirant et sublime « Lumière Blanche (Ad Finem) », où SCH évoque la fin, sa fin, la fin de Julius avant de clôturer JVLIVS par les mêmes mots que l’ouverture du préquel.
JVLIVS : Tome III Ad Finem
01. intro - Ego sum
02. Stigmates
03. Le taulier
04. Dans la tête
05. Interlude - Avversita
06. Miroires
07. Deux mille
08. Soldi famiglia (feat. Sfera Ebbasta)
09. Multirécidiviste
10. D'hier à aujourd'hui
11. Rose noire
12. 02:00 (feat. Damso)
13. La pluie
14. Anamnèse
15. Quartiers nord
16. Interlude - Jour d'octobre
17. Missiles
18. Lumière blanche (Ad Finem)
TRACES DE SANG SOUS UN CIEL BLEU
L’histoire particulièrement brutale et sombre de JVLIVS se termine alors, sans un nuage à l’horizon. Si on y regarde de près, bien sûr qu’il y a quelques imperfections, mais ce n’est pas le propos. SCH signe l’une des œuvres majeures de sa génération si ce n’est l’œuvre. Une qualité continuelle servie par une évolution mature au fil des volets. Le respect d’une promesse annoncée six ans plus tôt. SCH est sur le toit du monde, loin de la concurrence.
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